Curieuse entrée en matière pour la première saison post COVID de l’Opéra. Presque 3 h de spectacle et finalement très peu de danse pour cette soirée sous le signe du Tanztheater confiée à Alan Lucien Øyen. Cri de Cœur, commande d’Aurélie Dupont au chorégraphe norvégien, devait initialement voir le jour lors de la saison 2019-2020 et la création avait commencé avant le confinement. Ce sera finalement le premier spectacle de l’après Aurélie Dupont pour une compagnie qui, plus que jamais, semble avoir besoin de retrouver un cap et une ligne artistique cohérente.

Marion Barbeau (Copyright Agathe Poupeney / ONP)

En 2020, Alan Lucien Øyen se réjouissait de la carte blanche donnée par Aurélie Dupont. Au sortir de cette très longue représentation (deux actes de 1h15 séparés par un entracte de 20 minutes), on se demande jusqu’à quel point le produit fini aurait été identique sans la vacance à la Direction de la Danse. On a la nette impression que personne n’a pu suggérer quelques coupes bienvenues dans l’énorme matériel de création accumulé lors du long processus de gestation.

Marion Barbeau est Marion, l’héroïne de cette soirée dans laquelle le  Ballet de l’Opéra se regarde beaucoup le nombril et qui joue sur les frontières entre la fiction et la réalité. En témoigne, ce texte quelque peu inquiétant pour le spectateur dans la bouche de Marion, dans lequel elle s’excuse de ne pas avoir eu assez de temps pour répéter, au bout de quelques minutes assez déroutantes de spectacle. Elle ne parle visiblement pas de l’œuvre que nous en sommes en train de découvrir mais du spectacle qu’elle joue dans le ballet. Elle incarne une danseuse de la maison en phase terminale d’un cancer, croit-on comprendre, ou peut-être est-elle même déjà morte. Dans son appartement, accompagné de Personne, une sorte d’ange gardien joué par Alexandre Gasse, elle joue sa propre mort devant un public imaginaire composé de ses collègues (qui portent leurs vrais prénoms), qui ont eux aussi leurs problèmes.

Le beau travail de scénographie sur les trompe-l’oeil (Copyright Agathe Poupeney / ONP)

La scénographie fait penser à Dogville de Lars Von Trier. Le jeu des cloisons mobiles permet d’alterner entre l’appartement de la jeune femme, la salle d’attente d’un médecin, les décors des spectacles où elle a joué ou qu’elle imagine, ou encore d’exploiter le plateau technique et le Foyer de la Danse comme décors de la fiction. Ce minimalisme scénographique n’est que de façade, car les  toiles peintes des spectacles dans le ballet sont assez bluffantes tout comme le dispositif technique qui projette en direct des gros plans de Marion et de sa mère, Héléna Pikon, artiste invitée, membre du Tanztheater Wuppertal de Pina Bausch, dont Alan Lucien Øyen se revendique. On a un peu l’impression que le chorégraphe a eu trop de temps pour réfléchir à cette scénographie (la faute au COVID peut-être) au détriment de la danse et son histoire.

Les quelques brèves fulgurances sont dansées, un solo d’Alexandre Boccara ou l’apparition de l’ange Hugo Vigliotti, et émaillent ce long tunnel de vacuité, car côté dramaturgie, c’est loin d’être Hamlet.

Marion Barbeau et Takeru Coste (Copyright Agathe Poupeney / ONP)

Le deuxième acte, moins abouti à mon sens, même s’il recèle davantage de moments dansés, évoque plus directement l’agonie de Marion avec des confrontations orageuses avec son lézard domestique (Laurène Levy) et son ex (Simon Le Borgne), le souvenir de sa mère, artiste elle-aussi, trop souvent absente et de son frère. Le gardien de la mémoire (formidable Takeru Coste) l’accompagne dans son passage vers l’au-delà dont l’antichambre est une forêt, puis la conduit jusqu’à l’autel sacrificiel symbolisé par le Foyer de la Danse illuminé de couleur rouge et masqué par une bâche en plastique, comme une réminiscence d’un projet de création « à la mode » évoquée dans le premier acte.

Que retiendra-t-on de cette création boursouflée qui peine à remplir la salle de Garnier? Le beau travail des ateliers de l’Opéra National de Paris, que l’on aime ou pas l’esthétique de  Alan Lucien Øyen. La présence scénique incroyable de Marion Barbeau qui tient le spectacle à bout de bras, mais on pourra préférer regarder le DVD d’En Corps de Cédric Klapisch confortablement installé dans son canapé pour s’en faire une idée.

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