Cédric Klapisch aime la danse. De Natacha, la danseuse des Poupées Russes, incarnée par une vraie danseuse Evguenia Obraztsova, à sa collaboration avec Aurélie Dupont (le portrait documentaire qu’il lui a consacré, la captation filmée des adieux de l’étoile) en passant par François Civil, son héros en quête d’amour de Deux Moi, se passant en boucle le dernier pas de deux du Parc de Preljocaj, on peut même le qualifier de balletomane.

Marion Barbeau

Ce n’est donc pas étonnant qu’il ait eu envie de dédier un film de fiction entier à cette passion. En Corps, sorti le 30 mars, est le portrait d’une danseuse classique, Elise, qui, suite à une blessure en scène, dans la Bayadère, qui semble condamner sa carrière, va se reconstruire grâce à la danse contemporaine en rejoignant la compagnie du chorégraphe Hofesh Shechter. Lu comme ça, l’intrigue apparaît très cliché, mais les gros atouts du film, ce sont la connaissance de son sujet de Cédric Klapisch et son interprète principale, Marion Barbeau, première danseuse à l’Opéra.

Trop souvent, les fictions sur la danse souffrent du manque de crédibilité de leurs interprètes. Ici, Marion Barbeau pourrait très bien être à l’affiche de la Bayadère dans le rôle-titre sur la scène de Bastille en ce moment, et elle a travaillé avec Hofesh Schechter à deux reprises à l’occasion de l’entrée de The Art of Not Looking Back au répertoire de l’Opéra en 2018, ainsi que pour la soirée entièrement consacrée à l’Israélien ce printemps à l’Opéra Garnier. La bonne fée du 7ème art s’était déjà penchée sur le berceau de Marion Barbeau : dans une des premières vidéos de la plateforme numérique de l’Opéra, Glen Keane, animateur star de Disney, faisait de la jeune danseuse l’héroïne d’un petit film animé. Ce rêve de cinéma devient réalité avec le rôle d’Elise : alors, certes, ce n’est pas une performance à Oscars, mais Marion Barbeau passe très bien à l’écran et est juste dans son interprétation. La relation avec son père, joué par Denis Podalydès, donne lieu à des scènes touchantes. Ce serait néanmoins un peu triste qu’elle délaisse la danse pour se consacrer à cette nouvelle carrière (elle a pris un congé de l’Opéra), car le film nous montre quelle danseuse complète elle est, une danseuse classique tout en moelleux, dégageant une infinie poésie, caressant le sol avec ses pointes, capable de se transformer en une danseuse contemporaine puissante dans les chorégraphies guerrières de Schechter.

La scène d’ouverture est sans doute ce que Cédric Klapisch a filmé de mieux depuis un certain temps, dans une filmographie qui, depuis quelques films, était en pilotage automatique. Le premier acte de la Bayadère (version chorégraphiée pour l’occasion par Florence Clerc) est filmé depuis les coulisses du Théâtre du Châtelet, à travers le point de vue d’Elise. Cédric Klapisch reprend ainsi dans une œuvre de fiction l’idée très maligne qu’il avait expérimentée lors des adieux d’Aurélie Dupont à la scène : filmer l’intégralité de l’Histoire de Manon depuis les coulisses. On est presque frustré de ne pas voir plus de cette Bayadère fictive. Après la découverte que son petit ami la trompe avec une danseuse du corps de ballet, la représentation part en vrille pour l’héroïne. On enchaîne sur un magnifique générique à la manière de Saul Bass rythmé par la musique stridente d’Hofesh Schechter. La blessure d’Elise dans le dernier acte, quand sa cheville lâche à la réception d’un grand jeté, on la ressent presque physiquement.

Après ce tour de force cinématographique, Cédric Klapisch retourne un peu dans sa zone de confort, entouré d’habitués de son cinéma (François Civil en kiné amoureux transi timide et un peu ridicule, Pio Marmaï en râleur de service), l’originalité résidant uniquement dans l’exploration du milieu de la danse : les relations au sein de la compagnie de danse classique, la reconversion des danseurs qui n’ont pas réussi à se faire engager dans une compagnie, le rapport à leur corps des danseurs, la précarité de la création contemporaine (y compris pour une chorégraphe renommé comme Hofesh Schechter). La façon dont il filme le corps de la danseuse et fait ressentir au spectateur les épreuves de la rééducation est également intéressante. Le film se referme, comme il a commencé, par une grande scène de danse avec la présentation de la pièce d’Hofesh Schechter à la Grande Halle de la Villette. Après cette représentation synonyme de renaissance pour Elise, elle imagine la Descente des Ombres dans la Bayadère, la composition de Minkus pour ce passage monte doucement jusqu’au générique. Cette Descente des Ombres, c’est la métaphore de la carrière de danseuse classique qu’elle laisse derrière elle. Il faut rester jusqu’au bout pour admirer le solo de Marion Barbeau glissant progressivement du pur classicisme à une sorte de danse martiale.

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