Dans Relève le documentaire, diffusé fin 2015, consacré à Benjamin Millepied à l’Opéra de Paris, Dmitri Chamblas, proche du directeur-chorégraphe et accessoirement responsable de la 3ème Scène,  confiait que si Benjamin Millepied s’ennuyait dans son nouveau costume, il reprendrait sa liberté sans hésitation. On se disait également également en voyant le jeune directeur, bouillonnant d’idées et d’enthousiasme créatif, confronté aux tracasseries administratives et sociales de l’Opéra que son mandat ne s’envisageait sans doute pas sur plus de 5 ans. Une impression prémonitoire confirmée abruptement le 4 février avec l’annonce par la presse de son départ, à peine 2 ans après l’annonce de son arrivée, 15 mois seulement après sa prise de poste officielle, en plein milieu de la première saison qu’il a entièrement programmée.

Benjamin Millepied et ses danseurs

Benjamin Millepied et ses danseurs

En novembre 2014, nous avions recensé les principaux défis de Benjamin Millepied. Les a-t-il relevés? Réponse forcément mitigée.

Défi n°1 : Sortir indemne de la saison 2014 – 2015

La saison chausse-trappe imaginée par Brigitte Lefèvre n’a pas eu immédiatement la peau de Benjamin Millepied, mais on peut imaginer que cette saison riche en grosses productions classiques, plus difficiles à gérer d’un point de vue administratif et logistique, a eu des effets secondaires et a entamé la résistance au stress du nouveau directeur. A son actif néanmoins, de belles reprises de ces productions avec des distributions mettant en avant les jeunes talents.

Verdict : Bel effort

Défi n°2 : Satisfaire le spectateur

Par contraste avec la précédente saison riche en grands ballets romanesques, la première saison de Benjamin Millepied est placée sous la signe de la musique et des programmes mixtes lorgnant vers le New York City Ballet, son alma mater, et n’était donc pas destinée à être un hit au box office. Les nombreuses promotions sur ces soirées semblent confirmer la tendance.

Il y a également la faute de goût: avoir confisqué le défilé du ballet au profit des riches et célèbres.

Verdict : Peut mieux faire

Défi n°3 : Valoriser les talents

A l’actif de cette grosse année, il y a la nomination de celle qui restera l’unique étoile de Benjamin Millepied, Laura Hecquet, une nomination fraîchement accueillie dans un premier temps mais qui s’avère une évidence à l’épreuve de la scène, ainsi que la révélation d’un grand talent masculin, Hugo Marchand.

De nouvelles têtes et des oubliés du corps de ballet se sont vus donner leur chance sur de grands rôles souvent pour le meilleur mais aussi au risque de faire grincer quelques dents: Léonore Baulac, Hannah O’Neill, Laetizia Galloni, Marion Barbeau, Eléonore Guérineau, Sae Eun Park, Germain Louvet, Marc Moreau, Jeremy-Loup Quer.

Par contre, la gestion de futurs grands de la compagnie, François Alu et Héloïse Bourdon, interroge. Le premier est correctement distribué sans plus et la nomination d’étoile qui lui tend les bras sur la Bayadère est inexplicablement retardée. La deuxième assure avec brio tous les grands rôles du répertoire classique mais on lui préfère Léonore Baulac et Hannah O’Neill pour un poste de première danseuse au concours.

Si l’on excepte des vidéos un peu clinquantes sur le site web de l’Opéra, les étoiles sont également les oubliées de Benjamin Millepied. S’il manifeste son admiration pour les anciens (Aurélie Dupont, Hervé Moreau ou Benjamin Pech) et si Amandine Albisson a trouvé sa voie dans le nouveau dispositif, on a l’impression qu’il ne sait pas comment travailler avec les autres. Mathieu Ganio, Laetitia Pujol et Dorothée Gilbert sont sous-exploités, Mathias Heymann est ballotté de partenariat en partenariat, Alice Renavand, Marie-Agnès Gillot ou Stéphane Bullion semblent avoir disparu des radars et enfin, vu de l’extérieur, la gestion du retour de congés d’Emilie Cozette relève des prud’hommes ou de la cruauté mentale. Karl Paquette et Josua Hoffalt sortent à peu près épargnés de cette séquence.

Verdict : Sait identifier les talents, mais la gestion des cadres laisse à désirer

Défi n°4 : Faire adhérer la compagnie à sa vision

Forcément en bousculant la hiérarchie pour le choix de ses distributions et notamment pour ses propres créations, Benjamin Millepied a clivé la compagnie entre ceux qui étaient prêts à le suivre et les tenants du statu quo. Si l’ère Lefèvre – Hilaire était clanique, l’ère Millepied a simplement généré un nouveau clan “dominant”. On peut tout de même en retenir une salutaire remise en cause dont devrait profiter son successeur.

Verdict : Doit améliorer sa capacité à conduire le changement

Défi n°5 : Enrichir le répertoire

Beaucoup d’entrées au répertoire dans cette saison 2015-2016. A mi-parcours, il est bien difficile de retenir une oeuvre forte dans les nouveautés proposées. Le meilleur est peut-être à venir sur la fin de saison avec Justin Peck et William Forsythe ou dans la saison 2016 – 2017 qui sera dévoilée la semaine prochaine.

Verdict : En probation

Défi n°6 : Améliorer et dynamiser les à-côtés du spectacle

Au rayon des flops prétentieux, la 3ème scène mérite sans doute la palme.

Globalement, on a plus (à défaut de mieux) parlé de la danse dans les grands médias et le balletomane a pu profiter de façon fréquente de retransmissions sur Culturebox ou Arte Concert, avec en point d’orgue la superbe initiative de filmer les coulisses des adieux d’Aurélie Dupont en intégralité.

Les répétitions publiques, souvent sous la houlette de Benjamin Millepied, m’ont paru plus denses et plus passionnantes.

Verdict : Bel effort

Défi n°7 : Faire rayonner la compagnie dans le monde

C’est peut-être la plus grande réussite à mettre à l’actif de Benjamin Millepied, même si on a pu parfois avoir l’impression que cette réussite était portée par des motivations égocentriques. Partenariat avec le Mariinsky, danseurs étrangers invités, festival de Cannes ou gala d’ouverture de saison: Benjamin Millepied a su ouvrir à la troupe de nouveaux horizons et lui offrir une visibilité internationale.

Verdict : Bel effort

C’est Aurélie Dupont qui reprendra le flambeau à la fin de la saison, un choix qui s’inscrit dans une certaine continuité, puisque, pressentie comme maître de ballet à son retrait de la scène, elle était largement associée au projet de Benjamin Millepied à son arrivée.

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