Depuis le 1er novembre, Benjamin Millepied a les pleins pouvoirs à la tête du Ballet de l’Opéra de Paris. La critique danse du New York Times, Roslyn Sulcas, l’a suivi pendant deux jours en octobre alors qu’il préparait la saison 2015-2016. Les confidences qu’il lui fait dans cet article sont l’occasion pour le spectateur régulier de se poser la question : quels sont les principaux défis qui l’attendent ?

Benjamin Millepied Twitter

Défi n°1 : Sortir indemne de la saison 2014 – 2015

La saison 2014 – 2015 a été élaborée par l’équipe précédente, et le moins que l’on puisse dire, c’est que Brigitte Lefèvre a eu la main lourde pour son successeur. La programmation en parallèle de la Source et de Casse-Noisette pour les fêtes de fin d’année ressemble à un bizutage en bonne et due forme. On espère que ce ne sera pas trop l’hécatombe du côté des solistes et qu’ils seront encore valides pour enchaîner sur le Lac des Cygnes, l’Histoire de Manon et Paquita notamment.

Gérer les distributions, les blessures, les remplacements ou les revendications des danseurs en terme de conditions de travail, cela fait partie du “job” de directeur de compagnie. Si, sur cette saison très chargée, Benjamin Millepied arrive à s’en tirer sans encombres, cela lui permettra de s’asseoir confortablement dans son fauteuil. Si ça ne se passe pas comme sur des roulettes, il pourra toujours arguer du fait que ce n’est pas lui qui a conçu la saison.

Défi n°2 : Satisfaire le spectateur

Qu’est-ce qui fait plaisir au spectateur de danse régulier à l’Opéra? Il y a quelques semaines un questionnaire envoyé par le service client sondait ses goûts: plutôt classique, plutôt contemporain, avide de création, prêt à casser sa tirelire pour voir le Lac des Cygnes ou satisfait de voir un ballet moins renommé à un tarif abordable.

Nul doute que ce questionnaire va être utilisé pour revoir une nième fois la politique tarifaire, mais il serait souhaitable d’en tenir compte également dans la programmation.

Un ou deux ballets classiques sur une saison comme cela a été le cas en 2012-2013 et 2013-2014, cela paraît vraiment peu pour un compagnie chargée de faire vivre un héritage tricentenaire. Sur une quinzaine de soirées, 4 à 5 dédiées aux grands classiques du répertoire ne sembleraient pas excessives. Ainsi Giselle a été présentée en tournée aux Etats-Unis et en Australie, mais cela fait depuis 2009 que le ballet n’a pas été repris à Paris. Pourquoi considérer comme un fait établi que le public français aurait un goût complètement différent de celui du public international ?

Du côté du néo-classique, ce serait bien de renouveler les titres proposés, la Dame aux Camélias, Onéguine ou l’Histoire de Manon, les mêmes que s’arrachent toutes les compagnies du monde, ou au moins de proposer de nouvelles distributions lorsque les reprises sont rapprochées.

Enfin, ne pas abuser du programme mixte: qui peut citer la dernière soirée de ce type, dont il est ressorti pleinement satisfait? Quant il n’y a pas plus d’entracte que de spectacle, il y a généralement une pièce forte qui fait passer la pilule pour une création ennuyeuse ou une reprise bâclée.

Défi n°3 : Valoriser les talents

On a déjà eu un aperçu des danseurs qu’appréciait Benjamin Millepied à l’occasion de la création de Daphnis et Chloé. Aurélie Dupont et Hervé Moreau sont des sources d’inspiration pour le chorégraphe. Il a su convaincre la future retraitée Aurélie Dupont de rester en tant que maître de ballet, ce qui est assez surprenant si l’on en croit les déclarations passées de la danseuse: alors, choix de facilité pour l’étoile ou réelle envie de s’investir dans le projet du nouveau directeur? Quant à Hervé Moreau, qui est à nouveau rayonnant sur scène, il pourrait prendre la place d’étoile “en chef”, laissée vacante par Nicolas le Riche et pour laquelle Mathieu Ganio semble encore trop vert.

Toutes les étoiles de Brigitte Lefèvre trouveront-elles leur place dans la tête et le coeur de Benjamin Millepied? On pense notamment à ceux qu’on voit très peu (tels Jérémie Bélingard, Benjamin Pech ou Emilie Cozette), à ceux qui ont été trop exploités par facilité ou pour pallier aux blessures de leurs collègues (tels Karl Paquette ou Stéphane Bullion).

Comment mieux gérer également les talents exceptionnels comme Mathias Heymann?

Un autre axe à creuser pour Benjamin Millepied, c’est d’éviter la spécialisation de certains danseurs: pourquoi ne voit-on pas plus souvent Marie-Agnès Gillot ou Vincent Chaillet dans du classique?

Enfin, il y a tous les talents qui attendent leur heure dans le corps de ballet.

Les distributions de Casse-Noisette et de la Source laissent espérer quelques changements de ce côté: Léonore Baulac, Sae Eun Park et Germain Louvet se retrouvent en tête d’affiche et les premiers danseurs semblent utilisés de façon un peu plus consistante que l’année dernière.

Défi n°4 : Faire adhérer la compagnie à sa vision

Comment la troupe va-t-elle absorber le passage du management “maternaliste” de Brigitte Lefèvre à celui d’un trentenaire?

Même si le parcours de Benjamin Millepied l’a préparé à de nombreux aspects de ses nouvelles fonctions, il n’en demeure pas moins qu’en terme de dimension managériale, il y a un facteur *10 entre le LA Dance Project et le Ballet de l’Opéra de Paris.

La structure très hiérarchisée de la compagnie, ses codes, son système d’avancement ou l’existence de syndicats peuvent s’avérer à terme des freins pesants pour le directeur formé par le système américain.

Pour passer outre ces freins, il va donc falloir que l’ensemble de la compagnie s’y retrouve notamment sur le plan artistique.

Défi n°5 : Enrichir le répertoire

L’avantage d’un nouveau directeur qui n’est pas issu du sérail, c’est que nous allons forcément avoir un renouvellement du répertoire et de sa sensibilité.

Brigitte Lefèvre a fait venir beaucoup de grands noms à l’Opéra de Paris, mais leurs créations ne resteront pas toutes dans les annales. Pour un Doux Mensonges de Kylian, une Troisième Symphonie de Mahler chorégraphiée par Neumeier, le Parc de Prejlocaj ou les pièces de Mats Ek sur lesquels la compagnie s’exprime totalement, il y a aussi toutes les créations destinées à promouvoir une image avant-gardiste de la troupe et difficilement reprogrammables (Teshigawara, Cherkaoui-Jalet, Trisha Brown).

On imagine bien qu’avec l’emprise qu’exerce de plus en plus l’industrie du luxe sur l’art et le patrimoine en France, on n’échappera pas totalement à ces créations alibi. On apprécie néanmoins lorsque Benjamin Millepied déclare au Figaro Magazine : “ Les danseurs sont fantastiques en danse contemporaine, mais ici, l’enjeu reste le ballet classique”. Son Daphnis et Chloé est en tout cas un bon exemple d’une création qui exploite judicieusement les talents de la maison et que le spectateur a envie de voir dans plusieurs distributions.

Au fil des interviews, apparaissent en tout cas des noms ou des projets qui donnent envie d’en voir plus : Christopher Wheeldon, Justin Peck ou encore “un grand ballet dont la partition n’a pas été jouée depuis 100 ans” (source Figaro Magazine).

Défi n°6 : Améliorer et dynamiser les à-côtés du spectacle

Depuis quelques mois, le balletomane a pu voir avec plaisir sur CultureBox ou Arte Concert la multiplication des diffusions en direct puis en vidéo de rattrapage de nombreuses soirées de danse à l’Opéra, sans parler du partenariat cinéma avec UGC. On assiste également à un frémissement du côté des réseaux sociaux avec la création du compte @BalletOParis sur Twitter. Serait-ce les prémices d’une révolution numérique sous les ors de l’Opéra?

Plus prosaïquement, ce serait bien d’avoir un processus de réservation plus transparent et plus ouvert sur Internet : rien de plus agaçant que de devoir se connecter tous les jours pour voir si des places ont été remises en vente pour Casse-Noisette. Du côté des publications, En Scène est plutôt bien conçu mais on sera plus partagé sur la qualité et le densité du contenu des programmes, inégal entre les ballets mais facturé au même prix. Que chaque spectateur dispose d’une feuille de distribution avec l’argument du ballet (comme ce qui peut se faire au Châtelet par exemple) serait aussi un petit geste bien apprécié.

Les rencontres autour du ballet le samedi à l’Amphithéâtre Bastille sont des moments formidables, et mériteraient d’être diffusés plus largement à l’image de ce que font le Royal Ballet ou le Ballet Royal du Danemark.

Défi n°7 : Faire rayonner la compagnie dans le monde

Voilà autant de défis qui, s’ils sont relevés, devraient permettre au Ballet de l’Opéra de Paris de rayonner davantage à l’international, avec des retransmissions au cinéma aussi populaires que celles du Bolchoï ou des étoiles, qui, plus que des danseurs accomplis et reconnus dans leur milieu, soient également des stars.

 

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