Cette année, ce sont les dames qui ouvrent le bal pour le concours annuel de promotion. Le public me semble un peu moins nombreux que les années précédentes où les dames concourraient le samedi. Les balletomanes acharnés n’ont pas hésité à poser une journée de congés pour savoir si leurs favorites seront promues. L’excitation est à son comble pour la classe des sujets avec une bataille au sommet entre Héloïse Bourdon (la chouchoute du public parisien), Léonore Baulac (la muse de Benjamin Millepied) et les “étrangères” très fortes techniquement, Hannah O’Neill et Sae Eun-Park, pour deux places de premières danseuses, tremplin pour un étoilât sans doute rapide.
Stéphane Lissner préside le jury, avec à sa droite Benjamin Millepied et à sa gauche Benjamin Pech, pas encore étoile retraitée et intronisé collaborateur artistique du Directeur de la Danse (un titre officieux de maître de ballet associé à la Direction de la Danse, puisque Clothilde Vayer n’est pas présente). Côté danseurs, on retrouve notamment les étoiles Laura Hecquet et Ludmila Pagliero. Côté personnalités de la danse, ont pris place à la table du jury Noëlla Pontois, une des étoiles les plus populaires de l’Opéra, et Yuri Fateyev, directeur du ballet du Mariinsky, un théâtre avec lequel Benjamin Millepied essaie de construire un partenariat sur la durée.
Un petit coup d’oeil à la fiche de distribution permet d’emblée de constater que la tendance initiée l’an passée, à savoir du Robbins en veux-tu en voilà avec une pointe de Balanchine, se confirme. Roland Petit, Maurice Béjart ou Serge Lifar, qui avaient pourtant les faveurs des candidates les années passées, se font discrets. Ainsi sur les 38 variations libres proposées, on dénombre 10 fois Robbins et 8 fois Balanchine. Si l’on y ajoute la variation imposée des sujets (la variation du Printemps des Four Seasons de Robbins), on frise un peu la surdose.
Classe des Quadrilles
5 postes de coryphées sont à pourvoir. C’est parti pour 18 variations du Grand Pas Classique de Gsvosky.
Difficile d’apprécier les candidates du fond de ma première loge de côté. Une partie des difficultés de la chorégraphie se trouvent dans mon angle mort, ce qui n’empêche pas de se faire une idée de la vitesse d’exécution et de l’aisance scénique des candidates. Pour certaines, le stress est visible et leur fait perdre leurs moyens. Je suis par contre au premier rang pour observer le jury: Yuri Fateyev semble très concentré dans sa prise de notes, Stéphane Lissner est préposé à la petite lumière, Benjamin Millepied pianote souvent sur son portable et échange avec Benjamin Pech sur certaines danseuses. On a parfois l’impression que le Directeur de la Danse ne va pas forcément s’appuyer sur la vérité du jour pour établir son classement (ou alors il a une mémoire visuelle formidable).
Parmi les déçues de l’année précédente, je repère de nouveau Roxane Stojanov et Camille de Bellefon pour leur autorité sur scène (on sent que ces deux danseuses ont déjà du métier).
Une nouvelle venue, Katherine Higgins, qui apparaît en tant que stagiaire dans l’organigramme, fait forte impression. Aisance technique, beaucoup de classe et de musicalité, des jambes qui n’en finissent pas, la jeune femme paraît un cran au dessus des autres. Sur le libre, elle se distingue avec sa variation de l’Automne des Four Seasons de Robbins dansée avec beaucoup de maturité: on n’est pas du tout dans l’exécution scolaire à laquelle on pourrait s’attendre pour un premier concours. Au passage, je l’avais remarquée sur la Nuit Transfigurée où cette même maturité scénique éclate aux côtés de partenaires chevronnés.
Sophie Mayoux nous enchante un trop court instant avecWho Cares? de Balanchine sur le rythme entraînant de Gershwin.
Et voilà le classement :
Quadrilles Femmes:
1) Roxane STOJANOV…….Promue
2) Katherine HIGGINS…….Promue
3) Sophie MAYOUX …….Promue
4) Leïla DHILAC…….Promue
5) Alice CATONNET…….Promue
6) Julia COGAN
Cette classe ne prête pas franchement à polémique. On peut tout au plus chipoter sur le fait que Katherine Higgins ne finisse pas première, mais Roxane Stojanov réalise un concours solide. Leïla Dhilac est également une danseuse que l’on remarque dans le corps de ballet, très régulière. Alice Catonnet a eu sa chance sur scène lors de soirées Jeunes Danseurs et fait partie des talents prometteurs de la compagnie.
Classe des Coryphées
Direction l’amphithéâtre pour une meilleure vue sur l’action. Contrairement à l’an dernier où la variation de Gamzatti (La Bayadère) choisie pour l’imposé avait été un véritable juge de paix, la variation “Pizzicati” du 1er acte de Raymonda n’a pas vraiment permis de différencier les postulantes au rang de sujet. Les danseuses ont eu du temps de scène avec visibilité dans l’année et les spectateurs habitués ont plus ou moins une petite idée des qualités de chacune et sont capables de se remémorer une performance, un bon point pour la politique de distribution de la nouvelle direction. La qualité des prestations est très homogène sur l’imposé, où j’ai une préférence pour Marion Barbeau et pour Letizia Galloni qui m’ont paru très en musique.
Sur le libre, très beau choix de Marion Barbeau avec la variation de la vision de la Belle au Bois Dormant version Rosella Hightower, l’instant magique de la journée: que de moëlleux dans sa danse! Letizia Galloni ne déçoit pas dans la variation de Nikiya de l’acte II de la Bayadère avec un remarquable travail des bras. Aubane Philbert insuffle un peu de peps dans la matinée avec In the Middle Somewhat Evelated de Forsythe : c’est l’une des rares à tenter le registre contemporain pour ce concours. Fanny Gorse livre un Tchaikovsky – Pas de Deux (Balanchine) stylé. Ida Viikinkoski est pétillante dans Diane et Actéon d’Agrippina Vaganova où elle met en valeur sa virtuosité. J’avoue avoir été assez peu réceptive aux diverses variations de Robbins. Merci aux candidates qui n’ont pas cédé au conformisme ambiant et ont mis en évidence leur individualité.
A noter le curieux concours de Charlotte Ranson. Cette danseuse si marquante dans le contemporain et dont on attend toujours avec plaisir la variation libre au concours avait choisi cette année d’interpréter Kitri, pour une variation décevante techniquement.
Et voilà le classement :
Coryphées Femmes:
1) Marion BARBEAU …….Promue
2) Ida VIIKINKOSKI …….Promue
3) Fanny GORSE…….Promue
4) Lydie VAREILHES…….Promue
5) Letizia GALLONI
6) Aubane PHILBERT
Marion Barbeau était sans conteste la numéro 1 aujourd’hui. La danseuse croquée par le dessinateur Glen Keane pour la vidéo la plus “choupi” de la 3ème scène a le vent en poupe. J’aurais pour ma part mis en 2ème Letizia Galloni et en 3ème Ida Viikinkoski ou Aubane Philbert.
Classe des Sujets
Suspens un peu malsain pour la dernière heure du concours. Il va forcément y avoir des danseuses extrêmement talentueuses qui vont se sentir lésées car le système du concours à ce niveau devient particulièrement cruel. Parlez-en à Héloïse Bourdon, héroïne malheureuse des dernières éditions et qui, à cette heure, pourrait déjà être première danseuse voire étoile comme elle l’a démontré à maintes reprises sur scène. Les règles semblent à géométrie variable selon les années et les candidates : tantôt c’est la performance du jour qui est récompensée, tantôt c’est la performance au cours de l’année ou pire de basses manœuvres politiciennes décident du sort des danseuses.
Il y a seulement 8 candidates pour 2 postes de premières danseuses. Visiblement certains sujets ont préféré ne pas jouer inutilement le jeu du concours. La litanie des variations du Printemps de Robbins n’est pas franchement exaltante. Mes préférences vont pour le brio à Sae Eun Park, pour la personnalité à Léonore Baulac et pour la personnalité plus le brio à Eléonore Guérineau. Hannah O’Neill s’y montre sereine, Héloïse Bourdon, imperceptiblement fébrile.
Sur la variation libre, re-coup de coeur pour Eléonore Guérineau : dans sa variation de l’Ombre (Les Mirages de Lifar), il y a l’émotion, une technique superbe avec un ballon étonnant. Hannah O’Neill fait le choix du classique avec la variation de la claque de Raymonda, un rôle de princesse taillée sur mesure pour elle. Léonore Baulac est musicale dans 1ere variation de Other Dances de Robbins, très agréable à regarder. Si les dés n’étaient pas pipés avant le concours, c’est sans doute là que Sae Eun Park et Héloïse Bourdon n’ont pas été suffisamment stratèges. En choisissant elles aussi une variation de Other Dances (la 2ème), elles ont voulu battre leur “rivale” sur son terrain au lieu de miser sur leurs qualités.
Et voilà le classement :
Sujets Femmes
1) Hannah O’NEILL …….Promue
2) Léonore BAULAC …….Promue
3) Héloïse BOURDON
4) Sae Eun PARK
5) Charline GIEZENDANNER
6) Eléonore GUERINEAU
A nouveau une grosse déception pour Héloïse Bourdon, et pas en ligne avec ses performances scéniques sur les rôles les plus exigeants du répertoire. En gros, que son concours soit excellent, plus ou moins réussi, elle ne monte pas. Elle a au moins la satisfaction de danser deux rôles d’étoile dans la Bayadère (Nikiya et Gamzatti) cet hiver.
Enfin, si Benjamin Millepied a le mérite d’avoir remis en avant Eléonore Guérineau, ses performances aujourd’hui donnent envie d’en voir beaucoup plus.
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