Le jeudi 3 mars à l’issue de la représentation de Ballet Impérial, première partie de la soirée consacrée à George Balanchine, a eu lieu un petit événement pas si fréquent, une double nomination pour les solistes du soir, Hannah O’Neill et Marc Moreau. Il fallait remonter à 2009 et à la double nomination d’Isabelle Ciaravola et Mathias Heymann pour trouver trace d’un tel événement.

C’était, qui plus est, une véritable surprise : tant le timing, on est au tout début du mandat de José Martinez, que le type de programme, une soirée mixte, n’étaient pas vraiment propices. Le public des suiveurs a d’ailleurs été un peu pris de cours, en témoigne le faible nombre de réactions sur les différents réseaux sociaux et la couverture limitée par les médias. En tout cas, ces nominations sont l’exact contrepied de la dernière en date, celle de François Alu, électron libre de la compagnie, réclamée à corps et à cris par la communauté des balletomanes, et qui s’est soldée par un échec retentissant. Les deux danseurs promus se consacrent entièrement à l’Opéra et ont subi, sans jamais se plaindre, leurs lots de revers de carrière ou de période de disgrâce dans les distributions. Ils font également mentir, surtout Marc Moreau, les propos tenus par certains danseurs que, si l’on ne progresse pas vite, il n’y a guère d’espoir à entretenir pour l’accession au rang de soliste de la compagnie. Dans ces nominations, plus que la décision d’un directeur artistique, c’est un geste fondateur de management que réalise José Martinez, en valorisant la persévérance et la loyauté à la compagnie.

Les rangs très fournis des étoiles féminines ne militaient pas forcément pour une nomination, mais plus de la moitié d’entre elles sont à présent à la fin de leur carrière (avec les départs imminents d’Emilie Cozette qui ne dansait quasiment plus et de Myriam Ould-Braham) et cela paraît raisonnable de préparer la relève, d’autant plus qu’avec les nombreux congés de maternité en cours, Hannah O’Neill, depuis la période post-COVID, était revenue en force dans les distributions et assumait de fait des responsabilités d’étoile. Il est d’ailleurs étonnant que cette danseuse au parcours international (néo-zélandaise et formée au Japon et en Australie), véritable « bête à concours » (Lausanne, Youth America Grand Prix, Varna), mise en avant par Benjamin Millepied, à laquelle il n’a fallu que 3 concours pour passer de quadrille à première danseuse (en 2016), lauréate d’un Benois de la Danse, ait attendu 7 ans avant de gravir le dernier échelon. En dehors de ses concours menés de main de maître, je la remarque la première fois  lors d’une soirée Jeunes Danseurs où elle danse un pas de deux classique extrait des Enfants du Paradis de José Martinez.

Myrtha dans Giselle

En 2015, Benjamin Millepied lui confie, alors qu’elle n’est que sujet, le rôle-titre de Paquita, au côté de Mathias Heymann : elle tient le choc techniquement dans la chorégraphie redoutable de Pierre Lacotte, même si, sur le plan du jeu pur, cela reste un peu timide. Sa technique imparable lui permet de s’illustrer en Gamzatti aux côtés de Dorothée Gilbert et de Mathias Heymann dans la Bayadère, d’aborder déjà Odette/Odile dans le Lac des Cygnes. Pilier de la génération Millepied, c’est tout naturellement qu’elle s’illustre dans les œuvres de Balanchine (Titiana dans le Songe d’une Nuit d’Eté, Emeraudes) ou les entrées au répertoire de pièces de Justin Peck. C’est à mon avis la grande Myrtha de l’Opéra à l’heure actuelle : son entrée au début du second acte de Giselle me fait systématiquement monter les larmes au yeux. Si 2016 et 2017 sont des années fastes pour elle, laissant augurer le meilleur, elle disparaît ensuite des radars. Il faut attendre 2021 pour la retrouver au premier plan avec le rôle de Mme de Rênal dans le Rouge et le Noir, la grosse production de l’Opéra confiée à Pierre Lacotte, et en début de cette saison dans Mayerling en comtesse Larish puis, face au Rodolphe de Stéphane Bullion, en Marie Vetsera, une performance enfiévrée et sensuelle dont je ne l’imaginais pas forcément capable. La voilà totalement prête à être étoile, alliant maturité artistique et technique.

Paquita

Lors de l’annonce des nominations sur le plateau jeudi dernier, on est forcément très touché par l’émotion de Marc Moreau, car, si la nomination d’Hannah O’Neill relève d’une certaine évidence au regard de son parcours, celle de Marc Moreau est de prime abord moins logique. 36 ans, soit un an de plus que Mathias Heymann, cela paraît bien tard pour démarrer une carrière d’étoile, d’autant plus pour un danseur qui ne s’est pas vu offert tant de chances que cela de jouer les premiers rôles, si on le compare à d’autres danseurs de sa génération comme Fabien Revillion. A l’instar de ce dernier, Marc Moreau a longtemps fait partie des piliers du corps de ballet, sujet pendant 8 ans. « Muse » de Benjamin Millepied, il a l’opportunité de faire partie de toutes les créations du chorégraphe pour l’Opéra (dès Triade en 2008) et la direction de ce dernier lui offre une belle exposition et des distributions dans des rôles de premier plan (entre autres la création de Daphnis et Chloé, Eros dans Psyché d’Alexei Ratmansky, Colas dans la Fille Mal Gardée, un pas de deux créé par Benjamin Millepied avec Aurélie Dupont ou encore le Chant de la Terre chorégraphié par John Neumeier).

Le pas de deux du lever du jour (Daphnis et Chloé)

Il est incontournable dans le système de Benjamin Millepied et les années 2015 et 2016 sont sans aucun doute les plus riches dans sa carrière d’artiste, même si se refuse toujours à lui le grand rôle dans un ballet de Rudolf Noureev. On se demande bien pourquoi d’ailleurs, car il a une très belle technique, une danse avec un grand souci du détail, très précise. En tout cas, avec son profil, il serait sans doute déjà Principal d’une compagnie américaine depuis plusieurs années. La direction d’Aurélie Dupont va marquer un coup d’arrêt et même un retour en arrière pour le danseur. Contrairement à d’autres danseurs de sa « classe d’âge », il continue néanmoins à passer le concours et, en novembre 2018, les portes s’ouvrent enfin et il accède au poste de premier danseur.

Psyché, Eros et Vénus
Psyché

A l’époque, j’écrivais : « Marc Moreau est à mon sens plus un premier danseur spécialisé dans un registre, le néo-classique sous influence Robbins de Benjamin Millepied ou de Justin Peck, qu’un généraliste : espérons que cette promotion lui permettra d’explorer régulièrement d’autres répertoires qui solliciteront plus sa personnalité et qu’il ne sera pas sous-utilisé. » Malheureusement, le COVID et les choix de programmation d’Aurélie Dupont ne donnent pas grand-chose à danser à la plupart des danseurs de la troupe. Même le déficit d’étoiles masculines et l’indisponibilité prolongée de Mathias Heymann ou les blessures d’autres premiers danseurs ne lui permettent pas de danser des rôles conséquents : Guillaume Diop, simple coryphée, se voit offrir tous les rôles d’étoile. On notera quand même le soliste virtuose de Rhapsody de Sir Frederick Ashton, une belle Idole Dorée dans la Bayadère dans la veine d’un Emmanuel Thibault et surtout son premier Siegfried dans le Lac des Cygnes, la prise de rôle de la maturité. Le danseur a démontré qu’il pouvait assumer les responsabilités d’une étoile dans un rôle lourd (et pas seulement une pièce de 20 minutes), être un partenaire fiable. Cette expérience a sans nul doute renforcé sa confiance : cela s’est traduit par des retours très positifs sur la soirée d’Hommage à Patrick Dupond (rôle-titre de Vaslaw, soliste de la Mazurka d’Etudes) et le nommer sur une soirée Balanchine, c’est un beau message envoyé à son pygmalion, Benjamin Millepied.

Dans le Lac des Cygnes

Les 2 nouvelles étoiles se verront offrir une exposition en mondovision à l’occasion de la captation cinéma de Ballet Impérial et Who Cares ? le 7 mars.

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