En parallèle du grand ballet classique à Bastille, destiné à un public familial, qui mobilise le gros des troupes de la compagnie, la soirée de fin d’année à l’Opéra Garnier se veut généralement plus contemporaine, et, d’aucun penseront, plus pointue, sans pour autant être disruptive.

Cette année, la soirée mixte au programme est inspirée par l’esprit des Ballets Russes, un « marronnier » des saisons du Ballet de l’Opéra de Paris, et la promesse généralement d’une belle soirée musicale, à défaut d’une soirée chorégraphique idéale. Malheureusement, le COVID et les règles sanitaires drastiques ne laissent aucun répit aux artistes, et l’orchestre «live » dirigé par Vello Pähn a été remplacé par une musique enregistrée par les mêmes quelques jours avant le début des représentations, pour cause de cas positif(s) au COVID dans l’orchestre. C’est bien dommage d’avoir opté pour cette solution, sans doute pour préserver la tenue des représentations lyriques, car elle dénature en grande partie cette soirée et l’intégrité des œuvres proposées.

Rhapsody (Frederick Ashton)

Rhapsody

Michel Fokine, chorégraphe historique des Ballets Russes (1909-1923), créa pour le Royal Ballet en 1939 Paganini, un ballet sur le virtuose du violon, utilisant la Rhapsodie sur un Thème de Paganini de Sergueï Rachmaninov. En 1980, le légendaire chorégraphe britannique, Sir Frederick Ashton, donne à sa compagnie de cœur, une nouvelle pièce sur cette partition, Rhapsody, chorégraphiant le rôle du soliste masculin pour un autre virtuose, Mikhaïl Barychnikov. C’est un ballet champagne, avec ses décors et costumes aux formes géométriques de couleurs vives. La musique enregistrée s’avère néanmoins très frustrante, car elle rend impossible tout dialogue entre les danseurs et la fosse. C’est un peu comme si on avait réservé sa place pour un récital de Jonas Kaufmann et qu’il chantait en playback

C’est à Marc Moreau que revient le redoutable honneur de se glisser dans les chaussons de l’étoile masculine absolue. Le premier danseur est ici dans un répertoire, le néo-classique abstrait à la Balanchine, qui lui sied plutôt bien, lui que Benjamin Millepied avait choisi pour plusieurs créations. Sans autre référence sur ce ballet, que je découvrais, j’ai apprécié la musicalité du danseur, sa précision et son partenariat attentif, mais l’on imagine également ce que François Alu ou Mathias Heymann auraient fait du même rôle. Sans doute que le rôle méritait un peu plus de charisme et de flamboyance, une flamboyance apportée par sa partenaire, Sae Eun Park, qui lui vole la vedette dès qu’elle fait son entrée sur scène, à peu près à la moitié du ballet. Voici une nouvelle étoile qui n’a pas besoin d’une période d’adaptation. Elle semble complètement libérée dans sa danse, elle dégage une sorte de sérénité altière sur scène. Les 2 solistes sont accompagnés par un corps de ballet réduit de 6 danseuses et de 6 danseurs. Chez les femmes, on remarque plus particulièrement Alice Catonnet. La « partition » confiée aux hommes m’a semblé plus intéressante, avec notamment Fabien Révillion à la technique intact et Andrea Sarri, beau soliste en devenir.

Faunes (Sharon Eyal)

Faunes

Le Prélude à l’Après-Midi d’un Faune de Claude Debussy, initialement chorégraphié et interprété par Nijinski, n’en finit pas d’inspirer les chorégraphes contemporains. Moins de 2 ans après l’entrée au répertoire du Faun plutôt réussi de Sidi Larbi Cherkaoui, c’est au tour de Sharon Eyal, une des chorégraphes en vue du moment, figure de la compagnie israélienne, Batsheva Dance Company, de s’emparer des 12 minutes du rêve voluptueux du faune. 6 danseuses, 3 danseurs, vêtus de maillots et shorties couleur chair (y avait-il vraiment besoin de convier la créatrice de Dior, Maria-Grazia Chiuri, pour ces costumes minimalistes ?) évoluent sur une scène plongée dans la pénombre avec des effets de vapeur dans une chorégraphie « ingenrée », la nouvelle marotte de la danse contemporaine. C’est suffisamment limité dans le temps pour rester efficace, le langage chorégraphique de Sharon Eyal est intéressant, avec une vraie base classique, surtout appliqué aux messieurs qui sont plus mis en valeur (mention spécial à Yvon Demol), mais difficile de retenir une image marquante de cette pièce.

Le Sacre du Printemps (Nijinski)

Le Sacre du Printemps est une œuvre qui passionne l’historienne de la danse et chorégraphe Dominique Brun. Son travail a connu une large exposition en 2010 avec le film Coco Chanel et Stravinsky et sa scène d’ouverture qui reconstitue le scandale de la création du Sacre au Théâtre des Champs-Elysées en 1913.

Le Sacre du Printemps

Lors de la représentation du 14 décembre, l’ensemble du corps de ballet était masqué, seule l’Elue (Émilie Cozette) n’était pas masquée. En donnant le Sacre du Printemps dans ces conditions, je trouve que l’Opéra fait preuve d’un irrespect total vis à vis de l’œuvre. L’ambition du programme était de proposer la reconstruction de la version princeps du Sacre. Pour avoir vu ce ballet, voulu comme en une œuvre totale, en 2016 à la Philharmonie de Paris avec un vrai orchestre, les Siècles, spécialisé dans ce répertoire, il s’agit d’une expérience fascinante et viscérale. En proposant une bande enregistrée et en muselant les danseurs, il ne reste pas grand-chose de la puissance tellurique de l’œuvre. On est en plein contresens. Seule Emilie Cozette réussit à sauver les meubles dans le dernier tableau. Mieux vaut ne pas donner la pièce, si c’est pour la dénaturer ainsi.

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