Le Lac des Cygnes revient à l’Opéra Bastille pour les fêtes de fin d’année. C’est le ballet de l’héritage Noureev qui a été le plus dansé par le Ballet de l’Opéra à Paris et en tournée ces dernières saisons, et, si je ne me lasse jamais de la beauté des actes blancs et de la scénographie à la fois majestueuse et sobre, j’aurais aimé retrouver un Casse-Noisette ou une Belle au Bois Dormant plus festifs et trop longtemps délaissés. Cette nouvelle série de représentations devrait constituer un baromètre précieux pour jauger de l’état de la troupe pour José Martinez qui vient de prendre son poste de Directeur de la Danse. Les distributions maintes fois remaniées mettent en tout cas en lumière la crise que traverse la compagnie du côté des garçons, avec une seule étoile, la plus jeune, Paul Marque, sur la ligne de départ en Siegfried. Il n’y a pas si longtemps l’Opéra était capable de proposer plusieurs triplettes étoilées sur Odette/Odile, Siegfried et Rothbart.
En ce 16 décembre, Myriam Ould-Braham, sans doute le cygne blanc le plus émouvant qu’il m’ait été donné de voir, inaugurait ce qui sera sa dernière série. Evidemment, il y avait une part de déception de ne pas la voir aux côtés de son âme sœur sur scène, Mathias Heymann, mais il y avait aussi la curiosité de découvrir Marc Moreau, qui, bien que premier danseur depuis 2019, abordait à 36 ans son premier grand rôle dans un des ballets majeurs du répertoire classique. Jack Gasztowtt, tout juste promu sujet, héritait du rôle du précepteur Wolfgang / sorcier Rothbart, un rôle lourd pour un interprète inexpérimenté, car c’est sur lui que repose la puissance dramatique du premier acte.
Marc Moreau m’a semblé en proie au trac lors de ce premier acte : on a du mal à démêler s’il s’agit d’un parti pris d’interprétation de Siegfried, prince neurasthénique qui fuit ses responsabilités dans les rêves, ou de l’incapacité à entrer pleinement dans le ballet. Il n’est pas aidé par Jack Gasztowtt, pas spécialement crédible en précepteur machiavélique : on se remémore la présence charismatique de Karl Paquette ou de Stéphane Bullion, ou même de François Alu qui abordait ce rôle comme un méchant Marvel. La relation des deux danseurs, si particulière à la version de Rudolf Noureev, et l’emprise qu’exerce Wolfgang sur Siegfried sont ici à peine esquissées et leur pas de deux est dépourvu de toute ambiguité. Au final, le sous-texte psychanalytique passe à la trappe et on ne comprend plus trop l’intérêt qu’un même danseur soit Wolfgang ET Rothbart. A sa décharge, Jack Gasztowtt n’était initialement pas prévu dans le rôle. Marc Moreau livre une variation lente de Siegfried maîtrisée mais, comme cela ne s’inscrit pas dans une histoire, ce n’est pas aussi fort que ce que l’on peut éprouver en voyant Mathias Heymann danser la même chose. L’absence de caractérisation dramatique reporte l’attention du spectateur sur les ensembles, qui ne sont sans doute pas ce que Noureev a chorégraphié de mieux, tarabiscotés avec la scène pourtant immense de Bastille qui paraît trop petite pour tous ces danseurs, faisant craindre la collision … Les tempi paraissent également très lents. Heureusement, le pas de trois vient réveiller le plateau : Bianca Scudamore est lumineuse et virtuose, éclipsant légèrement Naïs Duboscq, et Andrea Sarri livre un manège d’anthologie.
L’apparition de Myriam Ould-Braham fait enfin vibrer le spectateur et décrispe Marc Moreau. Des spectatrices derrière moi soulignaient combien l’étoile danse avec son cœur, et je crois que cela exprime parfaitement ce que l’on ressent face au cygne blanc de Myriam Ould-Braham. Si j’admire l’art de Dorothée Gilbert dans ce rôle, je suis plus émue par Myriam Ould-Braham et les pleurs me viennent assez facilement dans le final du deuxième acte. Marc Moreau s’avère un excellent partenaire et, comme c’est d’usage pour tout bon Siegfried, magnifie son Odette. Il conserve une certaine réserve, déférence vis-à-vis de cette créature étrange qui incarne l’idéal de l’Amour. D’une certaine façon, les deux danseurs reviennent à l’origine du ballet, inspiré d’une légende allemande, à une vision plus pure, débarrassée des surcouches d’interprétation apportées par le XXème siècle.
Le troisième acte fait malheureusement retomber le soufflé. Evidemment, Myriam Ould-Braham n’est pas en cause, mais son cygne noir a beaucoup moins de force associé au Rothbart falot de Jack Gasztowtt. La variation du sorcier toute en puissance manque par ailleurs de précision, et, si ses partenaires font belle impression dans leurs variations respectives, le trio trop déséquilibré ne fonctionne pas dramatiquement. Du coup, on a du mal à se passionner pour les divertissements où, chez les hommes, ce sont les anciens qui portent la troupe, Audric Bezard et Yann Chailloux dans la danse espagnole ou Hugo Vigliotti (qui réussit à donner vie même au plus petit des rôles) dans la danse napolitaine aux côtés de Bianca Scudamore.
Le quatrième acte n’a par contre rien perdu de son pouvoir de fascination. La beauté et la poésie intrinsèque au déploiement des ensembles de cygnes se suffisent à eux-mêmes, et le duo Odette-Siegfried de Myriam Ould-Braham et Marc Moreau, empreint d’une douloureuse tendresse, ravive l’émotion un temps éteinte. Le couple devrait pouvoir creuser davantage son alchimie sur leurs prochaines représentations, cette fois-ci avec Axel Magliano qui est leur Rothbart attitré.
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