Un peu chahuté dans Bolshoi Babylon, le documentaire consacré aux coulisses de la troupe après son annus horribilis, Sergei Filin est apparu rayonnant aux côtés de Jean-Christophe Maillot à l’entracte de la diffusion cinéma de la Mégère Apprivoisée. Il ne peut qu’être fier d’avoir fait entrer au répertoire du Bolchoï une œuvre aussi forte que celle de Jean-Christophe Maillot, un classique instantané extrêmement moderne à bien des égards mais s’inscrivant également très respectueusement dans la tradition de la troupe.

La Mégère Affiche

Qui a dit qu’on ne pouvait plus faire un grand ballet narratif au XXIème siècle, certes basé sur une pièce du Shakespeare? Jean-Christophe Maillot, en s’appuyant sur le formidable talent dramaturgique des danseurs russes, apporte la démonstration éclatante que la pantomime n’est pas à ranger au rayon des pièces de musée et qu’il existe d’autres alternatives que le narratif abstrait pour faire un ballet qui parle au spectateur moderne. Un exercice d’autant plus périlleux qu’il s’agit d’un ballet comique et il est communément admis qu’il est plus difficile de faire rire que de faire pleurer. Les musiques de film de Chostakovitch retenues pour illustrer le ballet semblent avoir été écrites spécialement pour ce maelström d’intrigue, de passions et de rires au rythme imparable qui nous laisse le souffle coupé.

Jean-Christophe Maillot et son fidèle dramaturge Jean Rouaud respectent le matériel théâtral original et notamment le principe de mise en abyme utilisé par Shakespeare, où la représentation de la Mégère fait partie d’une farce faite par un grand seigneur à un pauvre ivrogne. Le procédé est ici transposé avec l’apparition devant le rideau avant la représentation d’Anna Tikhomirova perchée sur des talons vertigineux et une paire de pointes à la main. La jeune femme s’installe pour enfiler ses pointes, elle refait son maquillage et autorise enfin le directeur musical Igor Dronov à démarrer avant de gagner le plateau pour incarner la gouvernante, un personnage de femme forte comme les aime le chorégraphe et qui est un peu un de ses gimmicks.

Olga Smirnova et Semyon Chudin

Olga Smirnova et Semyon Chudin (photo : Jack Devant)

Chaque personnage de la pièce est fortement caractérisé par une identité chorégraphique qui lui est propre et qui semble cousue main sur l’interprète choisi par le chorégraphe. Les rôles de la douce Bianca et de son amoureux transi Lucentio échoient à deux danseurs à la technique académique parfaite, la ballerine idéale, Olga Smirnova, et le prince rêvé, Semyon Chudin. Dans les rôles des prétendants de Bianca qui intriguent pour trouver un fiancé à Catharina, la sœur aînée caractérielle de Bianca, et ainsi pouvoir courtiser la cadette, on retrouve deux merveilleux danseurs de demi-caractère Igor Tsvirko et Vyacheslav Lopatin. Ekaterina Krysanova est une Mégère incandescente dans les bras d’un Vladislav Lantratov, très surprenant dans le rôle de Petruchio qui pourrait passer pour un contre-emploi et où il déploie un charisme et un sex-appeal digne de Richard Burton (pour rappeler une des incarnations célèbres du rôle). Avec cette constellation de talents, le vocabulaire chorégraphique de Jean-Christophe Maillot prend une ampleur nouvelle, qu’on devinait seulement dans LAC, sa version du Lac des Cygnes.

Ekaterina Krysanova et Vladislav Lantratov - copyright-Alice-Blangero

Ekaterina Krysanova et Vladislav Lantratov (photo: Alice Blangero)

Le ballet regorge de trouvailles et mérite d’être revu pour en apprécier toute la richesse. A cette première vision, on gardera en mémoire de grands pas de deux : les pas de deux Smirnova – Chudin tout en délicatesse et en rondeur, privilégiant les pirouettes plutôt que les portés acrobatiques, des pas de deux finalement d’un grand classicisme, et surtout le « pas de deux au foyer » de la Mégère et de Petruchio, un moment vraiment spécial mêlant humour et sensualité où Ekaterina Krysanova et Vladislav Lantratov font briller pantomime et technique, un régal sur grand écran.

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