Si vous ne l’aviez pas encore compris, les saisons concoctées par Benjamin Millepied sont basées sur un leitmotiv: le chorégraphe majeur du vingtième siècle est Balanchine. Avec son disciple Jerome Robbins, ils ont réinventé le ballet classique, en s’attaquant aux plus grandes partitions et en préférant l’abstraction, la poésie et la capture de moments à la narration, et fait de leur compagnie, le New York City Ballet, l’incubateur de nouveaux créateurs qui trustent aujourd’hui les scènes mondiales : Benjamin Millepied, Christopher Wheeldon et Justin Peck y ont été danseurs avant de se voir offrir l’opportunité de chorégraphier pour la troupe. New York peut être considérée comme le phare de de la création chorégraphique.néo-classique mondiale, puisque l’autre troupe new-yorkaise, l’American Ballet Theatre, s’est offert les services d’Alexeï Ratmansky comme chorégraphe résident.
La très courte série de soirées Ratmansky – Robbins – Balanchine – Peck s’inscrit donc parfaitement dans la lignée des soirées Millepied – Robbins –Balanchine et Bel – Millepied – Robbins, du Polyphonia de Wheeldon entrée au répertoire à l’occasion de la soirée contemporaine de fin d’année à Garnier, et des nombreuses autres soirées mixtes à venir.
Alexeï Ratmansky – Seven Sonatas
A la manière de ces cinéastes touche à tout qui n’ont pas de genre de prédilection, Alexeï Ratmansky, c’est un peu le maître du pastiche chorégraphique : pastiche de ballet russe avec Psyché pour l’Opéra de Paris, reconstruction de ballets classiques pour le Bolchoï et d’autres grandes compagnies, revival de ballet soviétique avec les Illusions Perdues, adaptation du roman de Balzac, ou encore pastiche balanchinien pour la première pièce de la soirée, Seven Sonatas, chorégraphiée sur une sélection de sonates pour clavecin de Domenico Scarlatti à la base pour les stars de l’American Ballet Theatre.
Je trouve que la personnalité du créateur a tendance à disparaître derrière ce travail d’exégète de l’histoire de la danse d’une précision qui confine à la froideur, et cela ne s’arrange pas avec le genre du ballet musical « quasi-abstrait » cher à Balanchine et Robbins. Dans une scénographie dépouillée (un piano sur scène, un simple fond de scène) où seule tranchent les costumes des danseurs (blancs avec une pointe d’or, tunique simili années folles pour elle, académiques et curieux pourpoint décolleté pour lui), on retrouve les constantes du genre : 3 couples de danseurs qui évoluent en solo, duo, etc. Chaque couple représente une humeur : romantique pour Laura Hecquet et Audric Bezard, exubérante pour Aurélia Bellet et Marc Moreau, mutine pour Alice Renavand et Florian Magnenet. C’est beau, très joliment construit, mais seuls Alice Renavand et Florian Magnenet nous racontent réellement une histoire.
Jerome Robbins – Other Dances
Après la copie, retour à l’original avec Other Dances, un des ballets que Jerome Robbins a chorégraphié sur Chopin (parmi lesquels on compte notamment Dances at a Gathering et In the Night). On est immédiatement sous le charme du duo formé d’Amandine Albisson et de Mathieu Ganio. Comme on a pu le constater encore sur Roméo et Juliette, leur partenariat est idéal sur le plan esthétique et l’entente est parfaite sur le plan technique, avec un bémol sur le plan du jeu et de l’alchimie. Curieusement, cette réserve n’a plus lieu d’être sur ce ballet sans histoire où justement ils parviennent à nous faire partager le moment qu’ils vivent sur scène. La danse de Mathieu Ganio est ciselée, moelleuse à souhait, tandis qu’Amandine Albisson charme par ses lignes et ses extensions, le tout au service d’une sensualité discrète.
George Balanchine – Duo Concertant
Avec la mise en mouvement du Duo Concertant, une pièce pour piano et violon d’Igor Stravinsky, c’est à un Balanchine plus expérimental et moderne que celui de Symphony in C ou de Thèmes et Variations que nous avons à faire. L’originalité de la pièce tient à l’interaction entre le duo de musiciens (Karin Ato au violon et Jean-Yves Sébillote au piano) et le couple de danseurs (Myriam Ould-Braham et Karl Paquette) : les danseurs commencent par écouter les musiciens avant de danser comme s’ils improvisaient sur la musique, par la suite, ils s’interrompent à plusieurs reprises comme pour saisir le tempo de la musique. On a l’impression d’assister à un work in progress et d’être invité dans le studio de danse. J’avoue ne pas avoir été séduite de prime abord par la musique de Stravinsky, sans doute une écoute préalable aurait-elle été souhaitable, et le contraste entre l’image que nous nous faisons des deux interprètes (Myriam Ould-Braham et Karl Paquette incarnation de la blondeur, de la douceur et du romantisme) et la gestuelle saccadée (même si on est évidemment très loin de Wayne Mc Gregor ou d’Edouard Lock) en accord avec la musique m’a gênée. Avec le dernier mouvement plus apaisé dans une semi-obscurité, le charme opère enfin pour moi.
Justin Peck – In Creases
Justin Peck n’a pas encore 30 ans, et il est déjà chorégraphe résident du New York City Ballet, où il danse par ailleurs. Benjamin Millepied était particulièrement élogieux à son égard dans les interviews qu’il a données en début de mandat. Avec In Creases, c’est une œuvre de « jeunesse » du prodige qui fait son entrée au répertoire du Ballet de l’Opéra de Paris. La pièce est courte (un quart d’heure environ), la composition de Philip Glass pour 2 pianos est entraînante, la distribution réunit 8 danseurs de la jeune génération (Marion Barbeau, Marine Ganio, Eléonore Guérineau, Letizia Galloni, Arthus Raveau, Marc Moreau, Alexandre Gasse, Antoine Kirscher) visiblement en phase avec ce que leur donne à danser ce chorégraphe de leur génération, cette dynamique et cette pulsation très urbaine. On sent certes l’influence des deux maîtres du New York City Ballet mais Justin Peck a su actualiser le logiciel sans céder à des effets de mode faciles et sans recourir à des concepts scénographiques pompeux (mais c’est peut-être juste l’effet « œuvre de jeunesse »).
On retrouvera Justin Peck avec une création pour l’Opéra de Paris en fin de saison et une reprise de In Creases à l’occasion de l’ouverture de la prochaine saison.
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