Une saison de danse à l’Opéra ne serait pas tout à fait la même sans sa soirée contemporaine radicale. On a plutôt l’habitude de la voir programmée à l’automne, mais cette année, c’est la soirée ATDK, certes de facture contemporaine mais de sensibilité classique à bien des égards, qui occupait le créneau. Pour la vraie soirée sans compromis, c’est donc la chorégraphe Maguy Marin qui revenait à l’Opéra après une création sous l’ère Noureev pour présenter une pièce créée en 2002, Les Applaudissements ne se mangent pas, un ballet-réflexion sur les sociétés latino-américaines au vingtième siècle marquées par les dictatures militaires.

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L’Opéra a bradé les places ces dernières semaines. Pourtant, vendredi soir, il y avait de grands espaces vides à l’orchestre. Ma place en catégorie 2 (déjà soldée à 50%) s’est ainsi transformée en une place de catégorie 1. J’ose à peine imaginer la déception des spectateurs – touristes ayant sans doute payé plein tarif devant ce spectacle d’1 heure, ne permettant pas de profiter des espaces publics de l’opéra à l’entracte, avec une bande son enregistrée qui vrille les nerfs (je ne suis pas sûre que l’on puisse parler de musique à propos de l’assemblage de bruits créés par Denis Mariotte). Avec seulement 8 danseurs et sans orchestre, un décor sensé évoquer l’Amérique Latine composé de bandes colorées (façon rideaux de porte) qui délimitent la scène, l’Opéra doit de toute façon très bien se débrouiller même avec un taux de remplissage pas optimal.

Chose assez rare à l’Opéra, il y a eu pas mal de défections en cours de route. Des applaudissements mesurés à la fin: pour faire un mauvais jeu de mot avec le titre du spectacle, les danseurs ne risquaient pas l’indigestion.

Il paraît que Maguy Marin s’est inspirée d’un ouvrage d’Eduardo Galeano, Les Veines Ouvertes de l’Amérique Latine, bible de la pensée gauchiste latino-américaine, qui dresse une histoire de ce continent à travers le prisme du colonialisme et du pillage des ressources naturelles qui ont ouvert la voie à l’avènement de dictatures à la botte du capitalisme. Je ne suis pas persuadée que le régime cubain ou le Venezuela d’Hugo Chávez soient plus vertueux, mais accordons à la chorégraphe le bénéfice d’avoir su se distancier de sa source et de s’inscrire dans une veine moins partisane.

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Il faut avouer que si on n’a pas lu la note d’intention du spectacle, on ne fera pas forcément le lien entre ce qui se passe sur scène et les régimes militaires répressifs. Les 8 danseurs (4 hommes et 4 femmes) en tenue de ville, on suppose qu’ils représentent Monsieur et Madame Tout Le Monde, entrent, sortent, se dissimulent derrière les rideaux de scène, s’épient, s’affrontent, parfois en duo, parfois en groupe. L’univers sonore évoque par moment des rafales de fusils mitrailleurs ou le bruit d’hélicoptères qui survolent une zone de guerre: on imagine la répression violente d’une manifestation, des corps tombent, les survivants se servent d’eux pour s’abriter. Il n’y a pas réellement de personnages évoluant dans une histoire, un même danseur sera à un moment une victime, puis il pourra être ce que l’on suppose être un délateur ou un instrument du pouvoir. La danse est extrêmement physique, viscérale, avec des fulgurances et surtout beaucoup de répétitions lassantes (les protagonistes semblent presque des marionnettes dépourvues d’affect). Je suis surtout frappée par la noirceur absolue du propos, cette vision complètement pessimiste de l’homme, qui ne laisse aucune place à la compassion et à la douceur.

Maguy Marin a choisi des danseurs à l’aise dans le contemporain, quasiment tous déjà distribués sur la soirée ATDK. On retrouve ainsi Vincent Chaillet trop peu vu cette saison et Nicolas Paul dont la présence domine le plateau. Simon Le Borgne, qui est surnuméraire dans la troupe, se voit offrir une belle opportunité. Chez les femmes, on remarque particulièrement Caroline Bance et Christelle Granier (à la présence inquiétante). On admire la prouesse physique, l’engagement des danseurs dans ce registre, mais on a le sentiment qu’avec leur allure de premiers de la classe, il leur manque la crédibilité pour se glisser dans la peau de populations opprimées.

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Lorsque la musique se tait, et que le silence apporte une sorte d’apaisement après 1 heure de tumulte, on ne peut s’empêcher d’éprouver du soulagement à retrouver notre univers familier et à respirer un grand bol d’air frais.

Les Applaudissements ne se mangent pas, chorégraphie de Maguy Marin, musique de Denis Mariotte, Caroline Bance, Christelle Granier, Laurence Laffon, Emilie Hasboun, Vincent Chaillet, Nicolas Paul, Alexandre Carniato, Simon Le Borgne – Représentation du 29 avril 2016.

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