C’est à une compagnie invitée, l’English National Ballet dirigée par l’ex-étoile du Royal Ballet, Tamara Rojo, que Benjamin Millepied a confié l’honneur d’animer le début de l’été au Palais Garnier avec un ballet classique à grand spectacle, le Corsaire. Si la saison qui se termine à Paris a souvent été synonyme, pour les nouvelles productions, d’ascèse, d’exigence musicale et de minimalisme, avec le Corsaire, on se retrouve face à un énorme gâteau à la crème apte à rassasier n’importe quel balletomane en manque d’évasion, de décors et de costumes chatoyants, de prouesses techniques et de sauts défiants les lois de la gravité.

Le Corsaire-24 juin 2016-3

Créé en 1856 à Paris par Joseph Mazilier sur une partition d’Adolphe Adam, le Corsaire, dont le livret s’inspire en toute infidélité du poème éponyme de Lord Byron et vogue sur l’engouement de l’époque pour l’orientalisme, met en scène les tribulations du corsaire Conrad sur les mers bordant l’Empire Ottoman pour délivrer la belle Médora de la tutelle du marchand d’esclaves Lankedem puis du harem d’un Pacha. L’œuvre a ensuite été remaniée à Saint-Pétersbourg par Jules Perrot puis par l’incontournable Marius Petipa. La chorégraphe canadienne Anne-Marie Holmes s’est basée sur cette dernière version ainsi que sur la version « soviétique » de 1973 de Constantin Sergueïev pour reconstituer une production du Corsaire pour le Boston Ballet en 1997, une production qui a voyagé à son tour, de l’American Ballet Theatre jusqu’à l’English National Ballet. La présentation de cette production à Paris est donc en quelque sorte un retour aux sources.

Avec cette production, on est assez loin de l’Orient évoqué par Lord Byron, Victor Hugo ou Théophile Gauthier. S’il fallait citer des références, ce serait plutôt du côté des films de Tyrone Power ou d’Angélique et le Sultan  qu’il faudrait chercher, et comme dans toute bonne superproduction, l’intrigue importe finalement moins que le charisme des stars, la qualité du ou des méchants, le pittoresque du site de l’action, les effets spéciaux et les « cascades ».

Tamara Rojo et Isaac Hernandez

Tamara Rojo et Isaac Hernandez

Le 24 juin, côté stars, c’est Tamara Rojo qui brillait dans le rôle de Medora, éclipsant quelque peu par sa personnalité (plus que par sa virtuosité technique) le Conrad d’Isaac Hernandez, superbe partenaire. Autour de ce couple vedette, gravitent toute une galerie de personnages, le marchand d’esclaves Lankedem (Ken Saruhashi), Ali (Cesar Corrales), le fidèle serviteur de Conrad, Birbanto (Yonah Acosta), son second et traître en puissance, Gulnare (Shiori Kase), concubine « star » du harem ou encore un pacha libidineux (Michael Coleman) : une bonne partie du premier acte consiste pour le spectateur à identifier qui est qui. L’English National Ballet est un melting-pot de nationalités et la diversité physique des danseurs rend finalement assez crédible la peinture de l’univers cosmopolite du bazar ottoman du premier acte.

Cesar Corrales

Cesar Corrales

C’est le deuxième acte qui met définitivement en joie les spectateurs avec l’un des morceaux de bravoure de la danse classique, scie de tous les galas, le pas d’action réunissant Medora, Conrad et Ali dans l’antre des pirates. D’abord, il y a un magnifique pas de deux où Tamara Rojo et Isaac Hernandez sont à l’unisson et puis il y a Cesar Corrales. Ce tout jeune soliste d’origine cubaine (on parle beaucoup espagnol à l’English National Ballet) est tout simplement hallucinant dans la variation pyrotechnique d’Ali : est-ce de l’acrobatie, est-ce de la danse, le débat est ouvert mais il y a indéniablement quelque chose qui se passe dans la salle, avec des clameurs et des applaudissements frénétiques, rarement entendus à Garnier. Isaac Hernandez, à la technique plus policée, livre une démonstration de danse masculine de haut niveau mais qui paraît presque fade à côté de ce feu d’artifice. Le deuxième pas de deux de l’acte, à vocation plus dramatique et un peu anachronique avec ses portés néo-classiques (on n’est pas loin du pas de deux de la chambre de Manon par moment), permet à Tamara Rojo et Isaac  Hernandez d’aller au-delà de la simple mécanique technique du partenariat et de susciter l’empathie pour leurs personnages.

Le troisième acte est plus faible dramatiquement, et un peu confus à suivre. On a l’impression que, pour condenser l’acte en 30 minutes, certains raccourcis ont été effectués. En termes de danse pure, c’est la séquence du jardin animé (« rêve » du Pacha) qui captive, une séquence qui fait penser au Royaume des Dryades dans Don Quichotte avec de magnifiques équilibres pour Tamara Rojo et Shiori Kase qui rivalise techniquement avec sa directrice. On termine avec la fuite de Conrad, Medora, Gulnare et Ali et  le spectaculaire naufrage du navire de Conrad dans une tempête à laquelle seuls le pirate et sa dulcinée survivent. Gros succès pour les danseurs de Tamara Rojo, que la régie n’a malheureusement pas souhaité prolonger outre-mesure alors que les spectateurs avaient encore de l’énergie pour applaudir, et une belle découverte à mettre au crédit de Benjamin Millepied, qui, en invitant cette « petite » troupe de mercenaires très talentueuse, n’a pas forcément caressé ses danseurs dans le sens du poil.

Le spectacle a fait l’objet d’une captation vidéo et devrait donc donner lieu à une diffusion sur DVD ou autre canal.

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