Cette année, je n’ai pas pris de journée de congés pour pouvoir assister à tout ou partie du concours de promotion interne de l’Opéra qui se tenait le 6 novembre pour les danseuses et le 8 pour les danseurs. J’ai néanmoins suivi avec attention les résultats. Petit tour d’horizon des talents mis à l’honneur.


Concours Femmes

Quadrilles

Les 3 postes à pourvoir à l’échelon supérieur reviennent à Hohyun Kang, Célia Drouy et Clémence Gross.

Piège de Lumière – Léo de Busserolles, Célia Drouy et Andrea Sarri

Hohyun Kang fait partie de la diaspora sud-coréenne de l’Opéra et, comme ses compatriotes, elle est très impressionnante techniquement. Je l’ai découverte lors du concours 2018: à 22 ans, elle venait d’intégrer la compagnie via la concours externe après une année en tant que surnuméraire. Marchera-t-elle sur les traces de Sae-Eun Park?

Clémence Gross a eu une belle fenêtre d’exposition la saison dernière en étant choisie avec Simon Le Borgne pour le duo du Faun de Sidi Larbi Cherkaoui, alors qu’on se souvenait plus d’elle en tant que demi-soliste dans le répertoire classique.

Célia Drouy était la “star” des spectacles de l’Ecole de Danse 2015 et 2016, notamment de l’enchanteur Piège de Lumière. La promue de cette classe, amenée au plus grand destin?

Coryphées

Les promues : Letizia Galloni, Caroline Osmont, Naïs Duboscq.

Letizia Galloni et Arthus Raveau

Letizia Galloni, une des danseuses de la « génération » Millepied, époque où elle était distribuée comme un sujet voire mieux, avait un peu disparu des radars pour de bonnes raisons. Elle revient fort sur scène et sa promotion n’avait que trop tardée.

Caroline Osmont a également un petit quelque chose en plus sur scène. Elle était formidable avec Marion Gautier de Charnacé et Pablo Legasa dans le pas de trois que leur avait confié William Forsythe dans Blake Works I.

Naïs Duboscq ne sera restée qu’un an coryphée. On lui avait confié le rôle d’Olga dans Onéguine, il y a déjà deux saisons et elle avait convaincu, formant un très joli duo avec Paul Marque. Elle a été moins mise en avant la saison dernière, mais les spectacles à venir devraient lui offrir de belles opportunités.

Sujets

Après la promotion presque surprise d’Héloïse Bourdon l’an dernier, cette classe paraissait presque dénuée d’enjeu.

On attendait la prodigieuse Bianca Scudamore qui gravit les échelons à la vitesse de l’éclair. Elle a été trop peu distribuée cette année pour des raisons qui restent mystérieuses. D’un autre côté, il n’y avait pas forcément grand chose de consistant à lui donner à danser.

Finalement, c’est Sylvia Saint-Martin, qui a été la Cendrillon de François Alu l’hiver dernier, qui transforme l’essai.


Concours Hommes

Quadrilles

Les promus: Antonio Conforti, Nikolaus Tudorin.

Tar and Feathers – Dorothée Gilbert avec Antonio Conforti et Yvon Demol

Autre talent éclos pendant l’ère Millepied, Antonio Conforti, particulièrement traqueur quand il s’agit du concours, a enfin vaincu la malédiction. Cela fait extrêmement plaisir pour ce danseur particulièrement attachant, un des protagonistes du documentaire Graines d’Etoiles, et qui a déjà fait ses preuves en tant que soliste sur scène.

J’espère découvrir bientôt sur scène Nikolaus Tudorin, danseur australien, passé par le Festival de Lausanne, et entré sur concours externe en 2018.

Coryphées

Les promus: Florent Mélac, Simon Le Borgne, Thomas Docquir

Thomas Docquir

Petit pincement au coeur pour Andréa Sarri, mon chouchou dans cette classe.

Florent Mélac est un danseur expérimenté qui n’a peut-être pas encore donné sa pleine mesure. Le début de saison semble prometteur pour lui, puisqu’il reprenait le rôle de François Alu dans le pas de deux de Blake Works I avec Léonore Baulac.

Simon Le Borgne, c’est le chouchou des chorégraphes invités et on peut considérer qu’en contemporain, il est quasiment une étoile. Il a aidé à faire passer tellement de chorégraphies sans saveur qu’on aimerait bien qu’il ait plus souvent une fenêtre d’expression classique en passant sujet.

Profil le plus classique, Thomas Docquir est une des belles découvertes des deux dernières saisons. Il fait partie des danseurs que l’on remarque dans le corps de ballet. Il semble être un excellent partenaire et il a la taille et les lignes de prince qu’affectionne l’Opéra. Sa prise de rôle en Rothbart aux côtés de Dorothée Gilbert et de Hugo Marchand a marqué (même, si sur le plan de l’interprétation, c’était perfectible, il a assuré ave brio techniquement). Il est remplaçant sur Jean de Brienne pour Raymonda et devrait y briller en Béranger. Bref, bien que troisième, c’est sans doute lui  qui a le plus un destin d’étoile.

Sujets

Sur la base des distributions, je voyais Jérémy-Loup Quer et Pablo Legasa passer premiers danseurs.

Pablo Legasa

Ce sera finalement Pablo Legasa et Francesco Mura.

Pablo Legasa fait partie de mes danseurs coup de coeur depuis quelques saisons. La programmation de la saison passée lui a donné trop peu d’occasions de briller. Un très beau technicien, mais aussi une personnalité artistique très affirmée.

Francesco Mura, médaillé de bronze à Varna en 2018, est également un talent exceptionnel. N’oublions pas qu’il a eu l’honneur de danser tout jeune un solo lors de la soirée des adieux de Nicolas Le Riche. Contrairement à d’autres sujets, il n’a pas encore eu l’opportunité de se voir confier un premier rôle, mais il suffit de jeter un coup d’oeil à son pas de trois du Lac des Cygnes pour être envoûté.


Bilan

C’est aussi l’occasion d’une réflexion sur cet exercice qui est une synthèse à lui tout seul des paradoxes de la compagnie parisienne à l’heure actuelle. Voilà une compagnie qui s’arc-boute sur une tradition pour tout dire un peu cruelle, et qui  délaisse pourtant son répertoire patrimonial saison après saison. Alors que la compagnie n’a dansé pour l’instant qu’un seul ballet classique, Le Lac des Cygnes, en 2019 et que certaines danseuses n’ont pas eu l’occasion de chausser les pointes sur scène depuis ce qui semble une éternité, il est étonnant de constater que les variations imposées étaient on ne peut plus classiques et, que sur la grosse cinquantaine de candidats, on comptabilisait 5 malheureuses variations libres contemporaines.

Les critères objectifs utilisés pour la promotion, du moins sur le papier, apparaissent donc en complet décalage avec ce qui est proposé au spectateur durant la majeure partie de la saison. Il faut donc alors bien revenir à des critères plus subjectifs, qui sont ceux de toute compagnie artistique, le choix du directeur ou de la directrice artistique, de distribuer tel ou tel artiste par rapport à sa vision.

Malheureusement, la plupart des pièces néo-classiques / contemporaines constituant la routine actuelle du ballet parisien n’offrent pas beaucoup de rôles et, les scénographes privilégiant des éclairages lugubres et/ou les costumes indifférenciants, les danseurs (et cela vaut aussi pour les solistes de la compagnie) ont finalement peu l’occasion de s’exprimer individuellement. Je n’étais pas la plus grande fan de la programmation de Benjamin Millepied, mais elle permettait au moins de rattacher pas mal d’artistes du corps de ballet à un souvenir de spectacle. La disparition des répétitions publiques à l’Amphithéâtre Bastille permettait également de découvrir certains jeunes talents. Aujourd’hui,  il faut se référer au Spectacle de l’Ecole de Danse, au dernier concours ou à un spectacle hors les murs de 3ème étage ou des Italiens de l’Opéra pour avoir une petite idée du potentiel d’un danseur.

Au final, le concours 2019 semble faire le grand écart entre promotion sur la base de la performance du jour J et entérinement des choix de distribution de la Direction. Le faible nombre de candidats chez les garçons dans les classes des coryphées et des sujets par rapport aux nombres de places proposées (en gros, seuls qui sont distribués se présentaient) annonce peut-être une tendance durable, qui déboucherait à plus ou moins long terme sur la disparition du concours.

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