En avril 2013, à l’occasion du Tricentenaire de l’Ecole de la Danse de l’Opéra de Paris, ARTE diffusait une série documentaire de 6 fois 30 minutes consacrée à l’Ecole de Nanterre, Graines d’Etoiles. La réalisatrice Françoise Marie suivait le quotidien d’élèves, des plus jeunes entre 8 et 10 ans aux élèves de première division prêts à devenir professionnels.
5 ans après, Françoise Marie a retrouvé ces graines d’étoiles et propose un nouveau documentaire en 5 épisodes de 26 minutes qui sera diffusé pour les fêtes de fin d’année et qui est d’ores et déjà disponible en DVD à glisser sous le sapin de Noël, un cadeau sympathique pour les apprentis danseurs et aussi pour les balletomanes qui vont avoir le plaisir de retrouver certains de leurs chouchous parmi les jeunes pousses de l’Opéra.
Les trois premiers épisodes se concentrent les débuts professionnels de ceux qui ont intégré l’Opéra, avec une thématique par volet, pas forcément dans une progression linéaire : les répétitions du Lac des Cygnes de décembre 2016, celles de la Soirée Jirí Kylián qui se tenait en parallèle et enfin le concours de novembre 2016. Le quatrième épisode évoque lui les perspectives de carrière pour un danseur en dehors du sacro-saint Opéra, tandis que le cinquième épisode se focalise sur ceux qui ont renoncé temporairement ou définitivement à une carrière de danseur pro.
Sans surprise, c’est la trilogie dans les coulisses de l’opéra qui tient le plus en haleine. Ils sont assez rares ces témoignages des “sans-grades” du corps de ballet sur la difficulté d’être cygne à l’unisson dans les ensembles du Lac ou sur la frustration d’être remplaçant et de devoir apprendre la chorégraphie sur le tas. Je me serais bien passée pour ma part du couplet sur la représentation de la femme dans le ballet classique : un coup d’œil sur les publicités qui s’affichent dans l’espace urbain ou les photos de mode (que ne dédaignent pas les danseuses) suffisent à dire que nous n’avons pas vraiment de leçons à donner sur le sujet aux chorégraphes du XIXème siècle.En fil rouge, on suit Alice Catonnet et Antonio Conforti qui intégraient la compagnie à l’issue de la première saison. Alice Catonnet, c’est la bonne élève type, une danseuse plutôt classique, qui progresse régulièrement dans la hiérarchie sans faire de vagues, mais qui n’a pas encore eu l’occasion de se démarquer individuellement sur scène. Antonio Conforti, c’est tout le contraire, il est toujours quadrille, mais son tempérament de soliste a déjà éclaté au grand jour: on le voit répéter avec Dorothée Gilbert pour la Soirée Jirí Kylián ou se faire coacher par Mathias Heyman sur le solo de Manfred qu’il présentait au concours. En général, les personnalités artistiques des jeunes hommes apparaissent plus affirmées (on croise Pablo Legasa ou Simon Le Borgne) que celles des jeunes femmes, illustrant l’une des théories exprimées dans le documentaire : la densité de la concurrence chez les femmes favorise paradoxalement le formatage des danseuses, alors que les garçons moins nombreux se voient passer plus de choses.
L’Opéra apparaît clairement comme un cocon pour ceux qui ont eu la chance de décrocher leur CDI dans la compagnie. La vie des artistes que nous suivons dans le quatrième épisode, entre une école de danse à San Francisco ou des compagnies régionales en Allemagne, correspond sans doute plus à l’image que le grand public se fait d’une vie de bohème. C’est le passage consacré à Marin Delavaud qui est le plus touchant, et notamment ce dialogue avec son père où, presque des larmes dans les yeux, il évoque la fierté qu’a représenté pour eux le fait qu’il foule la scène de l’Opéra Garnier. On sent bien que, même s’il trace sa voie de danseur professionnel autrement désormais (en décrochant un contrat à l’Opéra National du Rhin), il y a toujours en lui cette image de l’Opéra de Paris comme une aspiration ultime.
Une aspiration que l’on retrouve également chez ceux qui ont abandonné un temps leurs rêves de danse professionnelle avant de replonger pour se présenter au concours externe. La conclusion du documentaire est justement centrée sur ce rêve, portée par le regard d’Antonio Conforti, le protagoniste le plus marquant des deux saisons. A l’occasion d’un festival sur la côte amalfitaine où il doit interpréter Signes aux côtés de Marie-Agnès Gillot, il part se ressourcer dans son village natal, où sa mère tient l’épicerie locale. Rien ne prédestinait le petit garçon à monter sur la scène d’un des plus beaux opéras du monde, pour être le partenaire de grandes étoiles : il est la preuve éclatante qu’il faut toujours croire en ses rêves, et c’est sans doute le plus beau message de cette série documentaire.
Mots Clés : Alice Catonnet,Antonio Conforti,Marin Delavaud,Pablo Legasa,Simon Le Borgne
Merci pour cet article. Concernant le passage sur l’image de la femme dans le ballet classique, il est désolant, mais important, d’autant plus qu’il est juste avec la manière dont Ghislaine Thesmar explique la Sylphide aux jeunes filles. Il montre l’une des sources de la « crise », ou du désamour pour le classique : ces jeunes -car ils sont jeunes !!!- ne font pas de lien, ne savent pas interroger l’image de la femme aujourd’hui pour la lier à celle d’hier autrement que par un superficiel « c’est pas de notre génération,les choses ont changé alors on ne se retrouve pas dans le classique et on préfère danser du contemporain ». -comme si Ghislaine Thesmar était de la même génération que la Taglioni !!! Ce ballet a été recréé moins de 10 ans après mai 68 !!
Et il n’y a personne pour les accompagner dans cette réflexion (ou d’autres : des liens entre les récits des classiques et la vie d’aujourd’hui, il y en a…), qui leur permettrait de trouver un sens, leur sens, à ces classiques. Qui leur laisserait, aussi, la liberté de danser les classiques avec le sens qu’ils y trouveraient aujourd’hui. Gh. Thesmar transmet la Sylphide comme une pièce de musée et allant dans le sens de « autrefois c’était pas pareil », les maîtres de ballets de la génération Noureev sont dans une telle idolatrie du Maître … qu’on transmet ces oeuvres comme des reliques, avec pour leitmotiv « c’est notre devoir de le faire ». Mais oui, mais non !!! C’est un devoir mais c’est surtout riche, parlant, éclairant !! Des tas de jeunes et brillants musiciens jouent toujours Bach et Mozart sans se sentir « has been », c’est possible aussi en danse (et ça existe ailleurs…) mais il nous manque des pédagogues modernes et sans doute un peu plus jeunes pour faire le lien avec ces jeunes qui ressemblent tellement aux autres jeunes urbains cultivés, sauf que les autres jeunes urbains cultivés, à 20 ans, ils débutent leurs études, là où les danseurs sont déjà Coryphées…
J’espère vraiment que quelqu’un finira par dépoussiérer vraiment cette maison, pas en cassant des fonctionnements pour se donner l’impression de modernité, mais bien en allant au coeur de l’art, un art vivant….
Merci pour cette analyse très intéressante.