Avec le concours de promotion 2017 décalé de novembre à mars 2018, la version 2018 programmée les 9 et 10 novembre arrivait à peine 6 mois après, en tenant compte des vacances, pour des danseurs qui, pour certains, n’ont pas eu forcément grand-chose à danser entre temps. Autant dire que ceux qui étaient arrivés au pied du podium lors du dernier exercice avaient de bons espoirs d’atteindre leur objectif.

Côté invités du jury, on notait la présence de Claude Bessy, l’ancienne directrice de l’Ecole de Danse sous le règne de laquelle certains des danseurs les plus expérimentés ont fait tout ou partie de leur scolarité, et de Karl Burnett, en charge de la transmission des ballets de MacMillan (une reprise de Manon en perspective ?). Parmi les membres du jury issus du ballet figuraient les étoiles Valentine Colasante et Alice Renavand, ainsi que le premier danseur Arthus Raveau.

Je n’ai assisté qu’à la journée de samedi, travail oblige, celle des femmes. Je fais néanmoins quelques commentaires sur les résultats du concours hommes.

Concours Hommes (9 novembre)

Piège de Lumière – Léo de Busserolles, Célia Drouy et Andrea Sarri

Chez les quadrilles, la promotion d’Andrea Sarri, un danseur qui m’avait emballée dans le Piège de Lumière de John Taras à l’Ecole de Danse et qui avait tout compris du style « gaga » lors de la récente création de Decadance, me réjouit. Petite surprise avec l’autre danseur qui l’accompagne au grade supérieur, Léo de Busserolles: j’imaginais plus Chun-Wing Lam ou Isaac Lopes-Gomes. C’est vraiment une classe où le fait d’être distribué n’est pas déterminant : le concours remet tous les compteurs à zéro et c’est parfois un peu cruel pour un artiste accompli tel qu’Antonio Conforti. Léo de Busserolles fait partie des jeunes qui avaient participé à la création de D’ores et déjà de Béatrice Massin et Nicolas Paul pour le tricentenaire de l’école française de danse. En me replongeant dans mes notes du dernier concours, j’avais noté à son propos : Léo de Busserolles (peut-être le seul vrai prince de cette classe) livre une interprétation sensible de la variation lente de Siegfried dans le Lac des Cygnes.

Eléonore Guérineau et Antoine Kirscher

Chez les coryphées, la variation imposée très périlleuse (même au spectacle, c’est assez rare qu’elle soit parfaitement réalisée) du Pas de Cinq des Pierres Précieuses de la Belle au Bois Dormant de Noureev me semblait faite pour Antoine Kirscher, un danseur fin doté d’un beau ballon et d’une très jolie petite batterie, qui s’est déjà illustré dans les rôles de l’Idole Dorée (La Bayadère), du joueur de flûte et d’Alain (La Fille Mal Gardée) ou de Puck (Le Songe d’une Nuit d’Eté). Le voilà donc promu sujet, derrière Axel Magliano qui, après des débuts discrets dans la compagnie (entrée en 2014), passe de quadrille à sujet en moins de 12 mois et a décroché des rôles de solistes dans Fancy Fee (actuellement tour de rôle de Stéphane Bullion dans la 3ème distribution) et dans la Dame aux Camélias (Gaston Rieux).

Laetitia Pujol et Marc Moreau

Laetitia Pujol et Marc Moreau

Pour l’unique poste de premier danseur, Marc Moreau a créé la surprise. Au dernier défilé, le déficit d’étoiles masculines se faisait cruellement sentir. En janvier, après le départ de Karl Paquette, ils ne seront plus que 5 hommes pour 10 femmes. Il est donc urgent de renflouer le quota de la classe premiers danseurs/étoiles, si possible avec des profils étoilables (Pablo Legasa, Francesco Mura) et/ou avec de solides qualités de partenaire (Jeremy-Loup Quer). Jeremy-Loup Quer ayant terminé deuxième derrière l’intouchable Paul Marque en mars dernier, et de plus, bien mis en avant dans les distributions, je l’imaginais remporter la mise cette année face à deux danseurs un peu plus verts, mais il ne s’est pas présenté. C’est donc Marc Moreau, un « ancien », troisième en mars, qui dit au revoir au corps de ballet. Marc Moreau est à mon sens plus un premier danseur spécialisé dans un registre, le néo-classique sous influence Robbins de Benjamin Millepied ou de Justin Peck, qu’un généraliste : espérons que cette promotion lui permettra d’explorer régulièrement d’autres répertoires qui solliciteront plus sa personnalité et qu’il ne sera pas sous-utilisé comme un Vincent Chaillet qui a d’ailleurs pris une année hors l’Opéra ou même Arthus Raveau qui n’a plus vu un premier rôle dans un grand ballet narratif depuis 2 ans.

Concours Femmes (10 novembre)

C’est le centenaire de la naissance de Robbins et les danseuses lui ont rendu un bel hommage : 7 d’entre elles ont choisi pour leur libre une variation du chorégraphe américain, dont 3 fois la variation de la danseuse en vert de Dances at a Gathering. Il supplante donc Noureev et  Balanchine dans le cœur des danseuses (6 occurrences chacun), avec des Joyaux qui continue à faire rêver les ballerines (3 variations tirées d’Emeraudes, le segment hommage à l’école française du ballet).

Classe des Quadrilles femmes

1 – Victoire Anquetil, promue
2 – Naïs Duboscq, promue
3 – Bleuenn Battistoni
4 – Seohoo Yun
5 – Camille de Bellefon
6 – Célia Drouy

Paul Marque et Naïs Duboscq

L’imposée, la deuxième variation de Paquita dans la version d’Oleg Vinogradov, s’est avérée un long pensum. J’ai trouvé néanmoins qu’elle avait le mérite de faire le tri parmi les candidates. Il y a celles qui font vivre cette chorégraphie (pas évidente en termes de musicalité) et les autres qui se laissent endormir, un peu comme le spectateur. Dès la toute première diagonale, en fait, on accrochait ou on décrochait.

Amélie Joannidès est la première avec laquelle il se passe quelque chose: c’est délicat et sensible. Hohyun Kang, la dernière recrue sud-coréenne de l’Opéra, est très impressionnante: elle réussit à rendre spectaculaire la variation avec des 6 o’clock, peut-être pas du goût de la maison. Seohoo Yun, sa compatriote, dans un registre un peu plus sobre, fait également son petit effet. Du côté des graines d’étoiles issues de l’Ecole de Danse, Célia Drouy et Naïs Duboscq assurent avec brio.

Sur le libre, j’avoue que ce sont celles qui ont pioché d’autres variations que celles de Balanchine, Robbins et Forsythe (chorégraphes archi présents dans la programmation actuelle) qui ont retenu mon intérêt, même si Amélie Joannidès est très belle dans Émeraudes. Naïs Duboscq qui clôturait la classe avec le Grand Pas Classique de Victor Gsovsky était majestueuse : elle danse grand, son manège final allait à toute vitesse et elle a encore progressé sur les 6 derniers mois. Célia Drouy a une forte personnalité qui s’exprime bien dans le rôle de la « méchante » Gamzatti. Hohyun Kang (Diane et Actéon d’Agrippina Vaganova) et Seohoo Yun (Esmeralda de Marius Petipa) sont un peu sur une autre planète techniquement et stylistiquement : on est plus sur des variations de gala qu’au concours à proprement parler.

Mon choix se serait donc porter sur Naïs Duboscq et Seohoo Yun. Le jury promeut bien Naïs Duboscq, seulement deuxième derrière Victoire Anquetil, dont la performance globale (libre sur la variation de Kitri dans l’acte III de Don Quichotte) m’a parue plus scolaire.

Je ne comprends vraiment pas pourquoi l’Opéra recrute via son concours externe des danseuses du niveau de Hohyun Kang et Seohoo Yun si c’est pour les faire végéter tout au bas de son échelle hiérarchique. Si leur style ne convient pas pour être soliste dans la maison, ce serait peut-être plus judicieux de laisser les places à des danseuses issues de l’Ecole de Danse.

Classe des Coryphées femmes

1 – Bianca Scudamore, promue

The Vertiginous Thrill of Exactitude – William Forsythe – Bianca Scudamore à gauche

Elle n’est pas spécialement mise en avant dans les distributions par rapport aux autres danseuses de sa classe, mais il y avait assez peu de suspens pour l’unique poste de sujet chez les femmes : Bianca Scudamore poursuit sa progression fulgurante. En avril 2017, c’était la vedette du spectacle de l’Ecole de Danse, la voilà sujet 18 mois après. Elle a survolé l’imposée (la 1ère variation du pas de quatre de l’acte I du Lac des Cygnes) et la libre (une variation du Printemps des Four Seasons de Jerome Robbins comme au spectacle).

Au final, c’est un peu cruel pour les autres candidates, le jury n’a pas fait de classement et j’ai du mal à garder un souvenir marquant des autres concurrentes. Charlotte Ranson, une des « anciennes » de la classe, a fait un joli concours avec les qualités d’interprétation qu’on lui connaît tant sur le Lac que sur la variation de la Flûte de Serge Lifar. Autre danseuse typée contemporain, Caroline Osmont m’a également fait une belle impression avec une grande musicalité sur la Nuit de Walpurgis chorégraphiée par Balanchine.

Classe des Sujets femmes

1 – Marion Barbeau, promue
2 – Héloïse Bourdon, promue
3 – Sylvia Saint-Martin
4 – Ida Viikinkoski
5 – Roxane Stojanov
6 – Marine Ganio

La classe de toutes les peurs a de nouveau donné lieu à un superbe spectacle. Les 13 danseuses ont toutes proposé de beaux moments de danse sur leur variation libre et c’est finalement la fluidité avec laquelle a été négociée la variation imposée tirée de Casse-Noisette version John Neumeier et notamment son manège final assez retors qui permettait peut-être de les départager.

Marion Barbeau et Stéphane Bullion

A l’issue de l’après-midi, je voyais Marion Barbeau, première danseuse, car elle a réalisé le concours parfait : sa danse moelleuse, avec des pointes qui semblent caresser le plancher, dégage une infinie poésie, tant dans l’imposée que dans la variation libre judicieusement choisie (la variation de la vision d’Aurore dans la Belle au Bois Dormant version Rosella Hightower). Je souhaitais qu’Héloïse Bourdon l’accompagne : c’était logique au vue de son œuvre passée dans la compagnie (finalement peu de danseuses peuvent se targuer d’autant de grands rôles à leur actif) et de son concours maîtrisé avec une variation libre sur Other Dances de Jerome Robbins où elle semblait enfin libérée du stress qui la tétanisait depuis 2 bonnes années en concours. Mais la logique et le concours des sujets femmes ne font pas toujours bon ménage, d’autant que Roxane Stojanov m’a également fait forte impression. Merci à Séverine Westermann pour son interprétation inspirée d’Emeraudes et à Charline Giezendanner et Sylvia Saint-Martin d’avoir choisi des variations extraites de Raymonda.

Le Pas de Deux des Fiançailles (La Bayadère) – Héloïse Bourdon et Kim Kimin

Finalement, la persévérance d’Héloïse Bourdon est récompensée et j’espère qu’elle sera suffisamment distribuée pour ne pas trop regretter toutes ces années manquées. En effet, l’abondance d’étoiles féminines va peut-être boucher un peu les perspectives de toutes les talentueuses premières danseuses.

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