Don Quichotte fait partie des classiques de Rudolf Noureev qui ont été le plus dansés à Paris ces dernières saisons avec le Lac des Cygnes et la Bayadère. Et cela se voit sur scène avec un corps de ballet superbement réglé qui semble s’amuser beaucoup. Il faut dire que la partition de Minkus moins sophistiquée que celle des ballets de Tchaïkovski ou de Prokofiev a finalement laissé moins d’espace à Noureev pour imaginer des ensembles tarabiscotés. Les morceaux de bravoure du premier acte sur la place du village s’enchaînent ainsi avec fluidité, suscitant l’enthousiasme du public.

Valentine Colasante et Paul Marque


Valentine Colasante aborde pour une troisième série le rôle de Kitri qui l’a faite étoile, et c’est sa deuxième série aux côtés de Paul Marque qui est le Basilio star de cette saison puisqu’il est également le partenaire de Sae Eun Park. On sent la complicité qui unit les deux danseurs: leur timing comique s’est affiné depuis la dernière reprise et Paul Marque, dont le Basilio faisait encore adolescent un peu maladroit, a gagné en confiance et les intentions de jeux passent la rampe du grand vaisseau de Bastille. Il parvient à s’affirmer face à la Kitri à la forte personnalité campée par Valentine Colasante. Si les 2 danseurs commencent piano le premier acte (on a déjà vu des entrées plus tonitruantes), la deuxième variation de Basilio et la variation des castagnettes galvanisent le plateau et le public, tout comme  les très spectaculaires portés à la russe à une main de la fin du premier acte que j’ai rarement vu tenus si longtemps.

Les deux amies de Kitri: Bianca Scudamore et Naïs Duboscq

J’aime beaucoup Arthus Raveau dans le rôle d’Espada : il apporte une profondeur inhabituelle à un rôle qui peut se réduire à un séducteur de pacotille. Son toréador a tout du fier hidalgo. Après des aléas de carrière qui ont contraint le premier danseur à rester cantonné longtemps à des rôles de caractère (lors de la dernière reprise, il était Don Quichotte), le voilà de nouveau à même d’assumer son statut de premier danseur, avec une présence scénique qui s’est densifiée et cette appréhension de la musique qui lui est propre, toujours aussi juste.  La danseuse de rue de Célia Drouy est piquante à défaut d’être volcanique.

Célia Drouy (La Danseuse de Rue) et Arthus Raveau (Espada)

Au premier entracte, je suis définitivement réconciliée avec ce ballet, dont je craignais m’être lassée après l’avoir tant vu. Et si le premier acte, extrêmement chargé sur le plan scénique et sur le plan des difficultés, est réussi, il en va généralement de même des deux suivants qui reposent essentiellement sur la qualité et la forme des solistes, et l’on peut même parler d’une euphorie communicative lors du troisième acte.

Au deuxième acte, les deux étoiles endossent un style plus lyrique et poétique lors du très beau pas de deux à l’ombre des moulins à vent dans la campagne où ils ont trouvé refuge pour échapper au père de Kitri et à son prétendant dédaigné. Dans le tableau de la « Vision » de Don Quichotte, sorte d’acte blanc en mignature, situé dans le Royaume des Dryades, on retrouve Valentine Colasante en Dulcinée, la dame des pensées de Don Quichotte : elle est sans doute moins dans son élément naturel en créature éthérée, mais le trio formé avec Camille Bon (la reine des Dryades) et Aubane Philbert (Cupidon) est de toute beauté. On imagine déjà ces deux danseuses en fées marraines dans la Belle au Bois Dormant l’année prochaine.

Le pas de deux du mariage

Les retrouvailles dans la taverne au début du troisième acte sont toujours un moment de divertissement pur avec le pas de cinq endiablé réunissant Kitri, ses deux amies, Basilio et Espada et l’intermède comique qui dénoue l’intrigue avec le faux suicide de Basilio. C’est le hors d’œuvre avant le pas de deux du mariage. Valentine Colasante et Paul Marque l’ont dansé et redansé en gala, mais, à aucun moment, on n’a le sentiment d’une routine. Au contraire, la joie de danser, de se jouer des difficultés de la chorégraphie, est éclatante. L’image la plus marquante est sans doute pour moi l’arabesque de Paul Marque au démarrage de sa grande variation, une arabesque qui semble pouvoir être tenue à l’infinie, un peu comme le sourire qui illumine le visage du spectateur lorsqu’il revient dans le monde réel.

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