Après Casse-Noisette cet hiver, Ines McIntosh poursuit sa découverte des grands rôles du répertoire parisien avec Don Quichotte. Peut-on parler réellement d’une découverte pour un rôle que la jeune prodige a du danser de nombreuses fois hors des murs de l’Opéra, mais l’immense salle de Bastille a sans doute de quoi rendre nerveux. Pour l’accompagner sur son unique représentation, José Martinez a choisi Francesco Mura, un choix particulièrement judicieux tant les deux danseurs sont bien assortis sur le plan physique: ce sont deux danseurs de poche aux qualités de ballon assez impressionnantes. Pour Francesco Mura, l’enjeu est également important: s’inscrire à nouveau sur les rangs des danseurs étoilables, lui qui en était si près au retour du COVID. J’adore ce danseur, sa personnalité en scène, moins lisse que celle des danseurs stars de la compagnie, la finesse de sa danse avec des temps suspendus étonnants.

Il y a toujours un soupçon d’excitation avant d’assister à la prise de rôle d’une danseuse ou d’un danseur, d’autant plus quand elle ou il est encore jeune, l’espoir peut-être de voir les premiers succès d’une future étoile. C’était le cas ce 22 avril alors que le rideau venait de se baisser sur la fin du prologue et que l’on attendait qu’il se rouvre sur la place de Barcelone.

Ines McIntosh et Francesco Mura

L’entrée du premier acte est ébouriffante. Ines McIntosh vole sur scène, la première variation de Basilio est faite pour Francesco Mura. Les deux danseurs ont la vista et le tempérament qui font que l’on croit à l’histoire et qu’on oublie que le mince argument est un prétexte à enchaîner les numéros virtuoses. La Kitri d’Ines McIntosh est encore une toute jeune fille, un peu turbulente qui partage son temps entre des copines commères (Ambre Chiarcosso, Lilian Di Plazza) et des amourettes (Basilio est sans doute sa première histoire sérieuse), sans oublier de faire tourner en bourrique Lorenzo (Sébastien Bertaud dans un rôle de caractère), un papa poule légèrement dépassé par sa petite fille qui est en train de devenir une femme. Ines McIntosh ne semble pas avoir besoin outre mesure de construire un personnage : elle se contente d’être. Francesco Mura adopte aussi un jeu assez naturaliste, son physique latin lui permet d’être crédible, sans en rajouter, en amoureux jaloux et qui n’a pas les yeux dans sa poche.

Sébastien Bertaud et Cyril Chokroun

Ils donnent de la consistance à leur histoire d’amour, dans cette Espagne imaginaire avec des personnages haut en couleur qui apporte un contrepoint plus résolument comique: le ridicule Gamache de Cyril Chokroun, le Don Quichotte extravagant de Yann Chailloux et le truculent Sancho Pança du jeune Baptiste Bénière, surnuméraire dans la compagnie. Petit bémol, le couple formé par l’Espada de Mathieu Contat et la danseuse de rue de Victoire Anquetil manquait de panache : il était un peu en difficulté avec sa cape de toreador et elle n’était pas spécialement en musique sur sa variation.

Victoire Anquetil et Mathieu Contat

Le contraste en terme de vitesse est frappant avec le couple principal. Ines McIntosh mène sa variation des castagnettes avec autorité tandis que Francesco Mura fignole sa deuxième variation. Les réceptions sont onctueuses, il est tel un félin sur scène. Si le deuxième porté à une main est fort bien tenu, la sortie de Kitri et Basilio est un peu plus chaotique. On sent que les deux danseurs sont un peu à bout de forces. Ils ont visiblement digéré leurs émotions au début du 2ème acte. La nuit qui est tombée sur la campagne a ravivé les instincts protecteurs de Basilio et dans les yeux d’Ines McIntosh on lit un soupçon de désir derrière un petit air effarouchée. Alexandre Boccara nous offre un gitan bondissant.

Pour le tableau de la Vision de Don Quichotte, Ines McIntosh éblouit de plus belle avec une diagonale de ballonnés sublime dans la variation de Dulcinée, comme un avant-goût des promesses de la jeune danseuse dans les grands actes blancs du répertoire. La Reine des Dryades de Hohyun Kang fait également retenir son souffle à la salle : la danseuse coréenne est dotée d’un physique de rêve pour la danse, avec des lignes parfaites, elle irradie une majesté pleine de douceur. Même une légère hésitation à la fin de sa série de tours à l’italienne ne réussit pas à troubler l’impression de plénitude que laisse son passage sur scène. Je découvrais pour ma part Hortense Pajtler, toujours quadrille dans la compagnie, pour laquelle Cupidon devait être son premier rôle important : c’était joliment réalisé, même si je ne trouve pas un immense intérêt à ce rôle.

Mathieu Contat est visiblement plus à l’aise sans sa cape, et les tours en l’air lors du pas de cinq dans la taverne montent haut et retombent pile. Le fandango au début du mariage est également mené avec allant. Mais cela reste relativement anecdotique par rapport au moment qui va envoûter les spectateurs pendant une dizaine de minutes. Ines McIntosh nous a  gratifié de grands numéros individuellement (avec un faible pour ma part sur sa variation, moins sur les fouettés de la coda trop à l’énergie). Francesco Mura a paru plutôt fébrile sur la grande variation de Basilio : la chorégraphie de Noureev relève quand même de la torture ultime pour le danseur avec cette succession de tours en l’air alternativement à droite et à gauche, finis en arabesque que je trouve presque disgracieux. Le danseur semble en difficulté sur un des deux côtés de sa rotation. Par contre, le manège penché de la coda était emballant. Objectivement, c’est quasiment impossible d’atteindre le niveau de perfection dans la danse proposé par Paul Marque avec Sae Eun Park puis Valentine Colasante dans cet exercice de haute volée. Par contre, très subjectivement, j’ai trouvé ce duo moins figé dans un idéal de perfection, plus vivant dans la danse proposée.

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