Alors que le public se pressait pour Don Quichotte dans la grande salle, c’est dans le cadre plus intimiste de l’amphithéâtre Olivier Messiaen de l’Opéra Bastille que se déroulait le 18 avril la première des soirées dédiées aux Danseurs Chorégraphes de l’Opéra. Le tarif est doux (25 euros la place), le placement est libre sur les estrades qui surplombent l’espace scénique et l’ambiance est plutôt décontractée avec de jeunes habitués, des amis des héros du jour et des danseurs de la maison.

C’est José Martinez qui fait l’introduction du spectacle. Les chorégraphes et leurs danseurs sortent de six semaines de répétition. Initialement, la soirée devait s’articuler autour d’un projet commun, finalement ils ont décidé de s’orienter sur des pièces bien distinctes. Ainsi, sur les quatre dates planifiées, seront proposés 2 programmes distincts construits autour de 9 pièces chorégraphiques, plus que 8 avec la défection de Florent Mélac, blessé, qui ne pourra pas présenter son duo avec Clémence Gross. Sans trop de surprise, on retrouve pour cette soirée les piliers de la création contemporaine à l’Opéra, ceux qui ont été choisis par la plupart des chorégraphes internationaux invités ces dernières saisons.

Les trois premières pièces s’inscrivent dans la veine du Tanztheater et auraient pu contribuer au projet commun initial. J’ai trouvé pour ma part pas mal de similitudes dans l’inspiration avec la création de 2022, Cri de Cœur d’Alan Lucien Øyen, notamment dans Mèpak, la chorégraphie de Caroline Osmont, qui démarre le programme. D’ailleurs, quelques éléments de décor semblent tout droits sortis de l’appartement de l’héroïne de Cri de Cœur, le canapé vintage, la plante verte ou encore la figurine porte-bonheur de chat, maneki-neko. La chorégraphe met en mouvement une soirée chill pour quatre amis (Marion Gautier de Charnacé, Takeru Coste, Loup Marcault-Derouard et Caroline Osmont), entre ennui, fumette et flirt, le tout rythmé par une bande-son vintageStevie Wonder côtoie INXS et New Order. Le propos en lui-même n’est pas passionnant (y en a-t-il-vraiment un ?) mais les danseurs sont excellents et Caroline Osmont offre de très beaux solos à Takeru Coste et surtout à Loup Marcault-Derouard. Avec son crâne rasé qui lui donne de faux airs du héros de Trainspotting, le danseur va s’avérer être la star de la soirée.

Dans la Langue des Oiseaux, la balance penche plutôt du côté du théâtre que de la danse, mais Maxime Thomas fait preuve d’originalité, de poésie et de pas mal d’humour pour explorer les mystères de la langue de la danse. Il établit un parallèle entre ce langage ultra-codifié et celui des oiseaux, un parallèle souligné par l’utilisation de musiques associées aux oiseaux (celle de la variation de l’Oiseau Bleu de la Belle au Bois Dormant de Tchaïkovski, des extraits de Stravinsky, Prokofiev ou encore Barbara). Assis au piano, il prend à la fois le rôle de chef de chant et de professeur de danse qui dispense son cours à une ménagère BCBG et apprentie cuisinière (Adèle Belem) et à une jardinière du dimanche (Laurène Levy), taclant au passage la mode des tutos en tout genre et du « distanciel ». On s’amuse beaucoup à les voir tenter d’appliquer le déroulé du cours de danse à leurs hobbies respectifs. Tout se termine évidemment avec un vrai cours de danse. Le chorégraphe marie toutes ses passions (art oratoire, enseignement, piano, danse) dans ce petit bijou qui mériterait un plus bel écrin.

Marion Gautier de Charnacé, avec une Porte, s’aventure du côté des couples iconiques de Mats Ek avec la fameuse table. La porte, c’est celle de l’appartement dans lequel emménage un jeune couple et qui va abriter leur félicité conjugale mais aussi leurs premières disputes. Le duo qu’elle interprète avec l’incontournable  Loup Marcault-Derouard est formidable, bouleversant, romantique dans sa simplicité confondante et universelle. Le choix de musiques aux sonorités venues des Balkans contribue à la cohérence de la chorégraphie, à lui donner ce petit côté passionné et irrationnel qui se marie si bien avec les atermoiements amoureux du jeune couple. C’est pour moi la pépite de cette soirée.

Florimond Lorieux s’est quant à lui essayé au pas de deux néo-classique, à la manière revendiquée dans sa note d’intention de  Jerome Robbins et John Neumeier, qui ont eux aussi été inspirés par les partitions de Chopin retenues pour cette chorégraphie. Luciana Sagioro, brésilienne finaliste du Prix de Lausanne en 2022, et Alexander Maryianowski, autre recrue parisienne récente en provenance des Etats-Unis mais déjà expérimenté (25 ans), doivent s’accommoder d’une scène pas forcément adaptée à ce type d’exercice et aux portés acrobatiques. On sent la jeune danseuse quelque peu fébrile. Ce court intermède classique a vraiment un goût de trop de peu et aurait sans doute été plus pertinent au sein d’une autre programmation.

La dernière pièce de la soirée est sans doute la plus ambitieuse du point de vue du format et de la construction, car Yvon Demol chorégraphie son Folamour pour 9 danseurs. S’il fallait caractériser le style d’Yvon Demol en tant que chorégraphe, c’est sans doute du côté de Benjamin Millepied qu’il faudrait chercher. L’argument est abstrait, le choix musical est pointu (Alex Ebert, représentant du rock psychédélique), la danse est fluide, à la frontière entre contemporain et classique, les pas de deux sont joliment construits et les danseurs sont mis en valeur.  Je retiens tout particulièrement Marion Gautier de Charnacé, décidément inspirée ce soir, Mickaël Lafon , partenaire attentif , et évidemment Loup Marcault-Derouard qui fait carton plein. La pièce s’étire néanmoins un peu trop à mon goût, ce qui n’efface pas le plaisir pris à cette soirée de danse en toute simplicité, qui s’avère largement à la hauteur de programmes mixtes contemporains assez inégaux des dernières saisons.

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