Voici un bilan personnel de l’année 2019 côté danse au travers de 5 tops et de 5 flops.

Jeter un coup d’œil dans le rétroviseur ne s’est pas avéré aussi simple que prévu : peu de véritables coups de cœur en 2019, pas de gros NON même si l’ennui poli était souvent de la partie et enfin un mois de décembre avec un seul spectacle vu, alors que c’est d’ordinaire le moment phare de l’année.

Les tops

1 – Sae Eun Park et Mathieu Ganio dans le Lac des Cygnes

C’est la distribution du Lac des Cygnes qui m’a le plus touchée. Le partenariat entre Sae Eun Park et Mathieu Ganio, inédit pour moi, a été une révélation : le 8 mars, nous avions sur scène deux âmes sœurs qui respiraient à l’unisson. Le duo était magnifiquement complété par Jérémy-Loup Quer dont l’interprétation de Wolfgang était la plus aboutie de cette série sur le plan théâtral et par un corps de ballet féminin au diapason des solistes.

Après la série du Lac, on ne devait plus revoir de classique sur la scène de Garnier ou de Bastille jusqu’en décembre.

2 – Another Place de Mats Ek

Parmi les rares programmes proposés en 2019 à avoir trouvé grâce à mes yeux, il y a la soirée Mats Ek avec deux créations du chorégraphe suédois en quasi-retraite aux côtés d’une reprise de son Carmen. J’ai retenu en particulier la pièce centrale de ce programme, Another Dance, une nouvelle variation sur le pas de deux explorant les petits riens de la vie d’un couple. Cette pièce, emblématique de l’œuvre de  Mats Ek, est cette fois-ci chorégraphiée non pas sur sa muse et épouse Ana Laguna, mais sur Aurélie Dupont. Sur la Sonate en si mineur de Liszt, avec une table et un tapis pour seuls accessoires sur un plateau nu, Aurélie Dupont et Stéphane Bullion nous livrent un duo tendre et poétique. On pardonnerait presque avec Aurélie Dupont les errements de sa programmation et de voler la vedette à ses étoiles féminines.

3 – A Quiet Evening of Dance de William Forsythe

A l’occasion du Festival d’Automne à Paris, William Forsythe présentait avec quelques-uns de ses fidèles danseurs, sur la scène du Châtelet flambant neuf, une soirée toute simple, comme l’indique son titre. A Quiet Evening of Dance est un véritable précis de la danse selon Forsythe et de la danse tout court, incroyablement stimulant pour le spectateur.

4 – Paul Marque

Au moment où j’écris ces lignes, Paul Marque aurait dû se préparer pour danser le Jean de Brienne de Raymonda à l’occasion de la soirée du réveillon, une soirée idéale pour la consécration ultime ? La grève qui a fait table rase des spectacles de fin d’année à l’Opéra en a décidé autrement.

Il est superbe à voir danser et a mûri artistiquement au cours de ces deux dernières années. Avec un seul solo de quelques minutes,  il réussit à illuminer une terne soirée Sugimoto-Forsythe. Il brille avec les Italiens de l’Opéra dans un pas de deux du mariage de Don Quichotte aux côtés de la pétillante Kitri de Valentine Colasante. Enfin, la « battle » amicale virtuose de son Bernard avec le Bérenger de François Alu dans Raymonda redonne le sourire aux amoureux de la danse classique.

5 – Raymonda

Après 9 mois de disette, Raymonda marquait le retour de la danse classique à l’Opéra de Paris et quel retour !  Avec cette fantaisie moyen-âgeuse, une distribution exceptionnelle emmenée par la trop rare Dorothée Gilbert, son partenaire idéal, Hugo Marchand et Stéphane Bullion, jamais meilleur que dans les rôles tourmentés, a offert au balletomane frustré de quoi calmer sa faim pour un certain temps. Enfin, on ne pensait pas être remis à la diète illico presto … avec l’annulation de toutes les dates du spectacle à partir du 5 décembre.

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Les flops

1 – Le projet artistique pour la Danse à l’Opéra de Paris

En 2019, on n’aura jamais aussi peu vu de danse classique à Paris. Certes, 21 représentations de Raymonda ont été escamotées pour cause de grèves, mais le mal était déjà fait puisque la dernière fois qu’on avait aperçu des danseuses en tutu et sur des pointes sur une scène de l’Opéra, hors défilé et gala surtaxé, remontait à la dernière du Lac des Cygnes le 19 mars.

Dogs sleep

Passe encore si le programme concocté mettait en valeur la troupe. Si je suis bien consciente que ce n’est pas tous les 4 matins qu’un Sacre du Printemps de Pina Bausch ou un Parc d’Angelin Preljocaj entrent au répertoire, il n’empêche que la direction de la danse apparaît en panne de projet artistique, essayant de suivre les tendances impulsées par d’autres et notamment le Nederlands Dans Theater (NDT). On a parfois l’impression qu’on essaie de faire enfiler à la troupe des vêtements qui ne lui vont pas : personnellement, je trouve que Marcus Goecke est bien plus inspiré lorsqu’il fait danser les Ballets de Monte-Carlo que le Ballet de l’Opéra de Paris.

C’est agaçant également de ne voir qu’une poignée de danseurs sur scène, un peu toujours les mêmes, alors que la troupe dispose d’un effectif conséquent. Pour ceux qui sont sur scène, les scénographies privilégiant des éclairages lugubres et/ou les costumes indifférenciants leur laissent peu l’occasion de s’exprimer individuellement. Par ailleurs, quand on dispose d’une étoile du talent de Dorothée Gilbert, ne la voir que 4 fois sur le plateau cette année relève de la faute de goût impardonnable. Mathias Heymann (certes blessé) aura vécu une saison blanche, et Mathieu Ganio a également été sous-exploité.

Enfin, il serait peut-être de bon ton de rétablir un peu de lien avec le public : les répétitions publiques à l’amphithéâtre Bastille semblent maintenant définitivement appartenir au passé, mais on aurait pu proposer une alternative numérique (ce n’est pas la malheureuse classe diffusée lors du World Ballet Day qui en fera office). Ne parlons même pas du défilé, moment traditionnel de communion entre les danseurs et le public des passionnés, préempté par le somptuaire gala d’ouverture de la saison pour les happy few.

2 – La grève à l’Opéra de Paris

Si je soutiens les revendications des danseurs, ne s’engagent-ils pas dans un combat où les jeux sont déjà faits ? Honnêtement, avec le répertoire actuel, a-t-on encore besoin d’une troupe de 150 danseurs et même d’une école pour les former ? En quoi ce que propose l’Opéra de Paris aujourd’hui est-il supérieur à ce qu’offrent des troupes comme celles de Bordeaux ou de Toulouse ? Le statut différent des danseurs parisiens ne se justifie que s’il y a un minimum de «grands» ballets à danser dans la saison, et, c’est pour cela qu’ils devraient se battre.

Autre petite réflexion : sortir du plan de carrière « Opéra de Paris » est une prise de risque qui peut s’avérer bénéfique. Mathilde Froustey, avec le Ballet de San Francisco, a eu l’opportunité de danser des rôles bien plus intéressants qu’Heloïse Bourdon, pourtant première danseuse maintenant. Chloë Réveillon, simple surnuméraire à Paris, s’est vu offrir un contrat au Mariinsky et elle a déjà décroché quelques rôles de solistes comme en attestent quelques vidéos sur la toile.

On peut se dire que l’évolution du système de retraite pour les danseurs de l’Opéra amènera peut-être les potentielles jeunes recrues à reconsidérer le schéma «c’est l’Opéra sinon rien» et à s’ouvrir à d’autres horizons. Réciproquement, on peut aussi imaginer que cela ouvre plus largement les portes du recrutement à l’extérieur et qu’on se retrouve à terme avec un modèle similaire à celui du Royal Ballet.

3 – At the Hawk’s Well de Hiroshi Sugimoto

At the Hawk’s Well

Parfaite illustration des ratages de la programmation actuelle, on espère que cette création va très vite rejoindre les oubliettes du répertoire parisien. On pouvait déjà se méfier de l’absence d’un chorégraphe sur l’affiche de la soirée. C’est le scénographe/plasticien japonais Hiroshi Sugimoto qui est aux commandes de cette œuvre inspirée d’une pièce de théâtre du poète irlandais William Butler Yeats, empruntant à la fois aux mythes celtes et au théâtre japonais nô. Alessio Silvestrin a la tâche visiblement sulbalterne d’imaginer une chorégraphie passe-partout, et on passera sur le ridicule achevé des costumes tout droit sortis d’un vide-grenier de séries fantasy des années 90 qui réussissent à enlaidir le sublime Hugo Marchand.

4 – Soirée León / Lightfoot / Van Manen

Trois Gnossiennes

La soirée arnaque de 2019 : 53 minutes de danse top chrono. Il ne fallait juste pas louper les 8 minutes du pas de deux de Hans Van Manen sur les 3 Gnossiennes d’Erik Satie dansé par Ludmila Pagliero et Hugo Marchand.

5 – Les adieux d’Eleonora Abbagnato

Eleonora Abbagnato, si peu distribuée ces dernières saisons, devait faire ses adieux à la scène le 23 décembre au cours de la série du Parc d’Angelin Preljocaj, un ballet parfait pour les adieux d’une belle étoile néo-classique. La danseuse italienne n’aura pas droit à sa dernière série de représentations sur un ballet long format, généralement si émouvantes. Ce sera donc une unique soirée au printemps, sous quel format ?

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