C’est écrit au fronton de l’Opéra Bastille : la 3ème Symphonie de Gustav Mahler par John Neumeier. De fait, le compositeur et le chorégraphe,  l’orchestre et la troupe de danseurs sont mis sur un pied d’égalité dans ce ballet-symphonie, jalon majeur dans la carrière du chorégraphe américain, pièce emblématique de son travail de traduction de la musique de Gustav Mahler en « mouvements subjectifs».

 

Pour la première de cette reprise par le Ballet de l’Opéra de Paris, c’est Karl Paquette qui assure le rôle de l’Homme, le guide du spectateur tout au long des six mouvements de la symphonie, qui vont le conduire des affres de la guerre à une rédemption par le biais de l’amour divin. Même s’il n’y a pas de narration, chacun est libre de construire sa propre trame.

Karl Paquette est l’Homme

Dans le premier mouvement intitulé « Hier », l’Homme est confronté à la guerre. Le corps de ballet masculin prend possession de la scène. Aux percussions et aux marches  «militaires» répondent des tableaux d’ensemble spectaculaires (pyramide humaine, portés entre danseurs). L’Homme est tiraillé entre son Ame (Stéphane Bullion) et un dieu guerrier (Mathias Heymann). Mathias Heymann est exceptionnel de légèreté dans un solo malheureusement trop court. La guerre semble avoir le dernier mot, mais à la fin, le jeune homme se tient seul face à l’ensemble : l’humanité a vaincu.

Dans les 2ème et 3ème mouvements (« Eté » et « Automne »), les éclairages se font plus doux.  On imagine une fête villageoise au retour de la guerre dans un champ fleuri : les jeunes gens retrouvent leurs promises. On peut penser aux descriptions bucoliques  de l’auteur anglais Thomas Hardy dans Tess. Parmi les couples sont mis en avant les duos Nolwenn Daniel – Christophe Duquenne et Mélanie Hurel – Alessio Carbone. Avec l’automne qui arrive, c’est la concrétisation des amours de l’été : on retrouve  dans le mouvement dit du posthorn (le cor évocateur de la chasse et de la forêt) le couple Laura Hecquet – Florian Magnenet pour un pas de deux d’une grâce infinie. L’Homme reste la plupart du temps à la périphérie de la scène, simple spectateur. Ce simple bonheur lui semble interdit et inaccessible.

Le 4ème mouvement est sans doute le plus hermétique pour le spectateur. Cela débute sur une plage de silence.  C’est la nuit. Est-on dans un rêve de l’Homme? Eleonara Abbagnato, tout de blanc vêtu,  apparaît sur scène, rejointe par l’Homme et son Ame. La voix d’une mezzo-soprano s’élève dans un lied, le Chant de Minuit tiré du Ainsi parlait Zarathoustra de Friedrich Nietzsche. Le pas de trois qui suit devrait être magique avec trois danseurs très à l’aise dans le style Neumeier, mais l’alchimie ne semble pas prendre. Karl Paquette et Stéphane Bullion sont tous les deux des danseurs qui ont tendance à laisser briller leur partenaire, et finalement ces qualités s’annihilent un peu dans cette rencontre. Au sortir de son rêve, l’Homme est libéré de sa douleur et prêt à ressentir à nouveau la joie simple de l’enfant.

Eleonora Abbagnato, Stéphane Bullion, Nolwenn Daniel

Cette joie et cette pureté enfantine s’incarnent en Isabelle Ciaravola, l’Ange du 5ème mouvement. Elle y est extraordinaire au son des chœurs enfantins interprétant le Cor Merveilleux de l’Enfant. Le 6ème mouvement, «Ce que me conte l’Amour », est dominé par son pas de deux avec Karl Paquette, un pas de deux avec la marque de fabrique de John Neumeier qui met en valeur les capacités d’extension de la ballerine et les qualités du partenaire masculin sur des portés d’une grande complexité. Ici, Karl Paquette renvoie parfaitement la lumière d’Isabelle Ciaravola et la magnifie. Ils sont rejoints par l’ensemble des couples du ballet pour un tableau qui conclut le ballet sur une note d’espérance.

Le corps de ballet avec la mezzo-soprano Aline Martin et le maestro Simon Hewett

On ressort de la soirée avec le sentiment d’une œuvre puissante et majestueuse et aussi, au terme des 2 heures sans entracte, l’impression d’une certaine élévation spirituelle, une impression stimulée par la synergie quasi naturelle entre danse et musique. C’est une pièce qui est un véritable cadeau pour le corps de ballet, et qui permet aussi aux solistes de se distinguer. Ce soir, outre Isabelle Ciaravola, ont particulièrement brillé à mes yeux Mathias Heymann, Alessio Carbone, avec un ballon et une précision de danse remarquable, et aussi le couple Laura Hecquet – Florian Magnenet qui semblaient ne faire qu’un sur scène, avec une grande pureté de lignes et des déplacements et portés d’une fluidité magique.

P.S. : C’est la même distribution qui dansera le 18 avril pour la retransmission au cinéma.

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