Si l’on s’était replongé dans les déclarations de Benjamin Millepied depuis son implantation en terre parisienne, on n’aurait peut-être pas été pris à contre-pied par sa première nomination d’étoile.
Ainsi, lorsque, dans une interview au Figaroscope en mai 2014, Benjamin Millepied évoquait les qualités de ses futurs danseurs, il se réjouissait de “s’adresser à des filles qui sont des femmes et non pas des petites filles, comme il y en a des légions dans les corps de ballet américains, où la danse infantilise et où l’on cherche désespérément des interprètes qui ne minaudent pas et soient capables de maturité dans un rôle”.
Dans une ode à la muse du chorégraphe, Aurélie Dupont, en introduction du beau livre In Situ, il admirait “la danse spontanée, réelle et sans aucune superficialité de l’étoile” qui représente à ses yeux au plus haut point l’école française à travers “son charme, sa musicalité, son approche appliquée et sophistiquée”.
Sa première étoile, Laura Hecquet, nommée à l’issue de la représentation du Lac des Cygnes du 23 mars, est l’incarnation même de ces qualités: c’est une danseuse en pleine maturité artistique, infiniment poétique, qui met sa technique au service de l’histoire qu’elle raconte au spectateur. Là où on attendait la nomination tonitruante du prodige François Alu ou un pied de nez à la hiérarchie avec la promotion d’un sujet, Héloïse Bourdon (brillante Odette/Odile dans la série en cours) ou Sae Eun Park, la nomination d’une danseuse de 31 ans surprend parce qu’elle ne colle pas forcément avec l’image “strass et paillettes” de Benjamin Millepied. Elle s’inscrit cependant dans la droite ligne du dernier concours de promotion, où Laura Hecquet avait déjà été préférée à Héloïse Bourdon et à Sae Eun Park pour l’unique poste de première danseuse. Il a choisi de mettre en pleine lumière une danseuse dont la carrière a été freinée par des blessures, mais dont la persévérance et le talent ont fini par payer.
La première fois où j’ai remarqué Laura Hecquet sur scène, c’était dans la 3ème Symphonie de Mahler chorégraphiée par John Neumeier : elle y livrait avec Florian Magnenet un pas de deux d’une beauté minérale, un moment hors du temps comme on n’en vit pas si souvent au théâtre. Son premier grand rôle était venu la saison suivante avec une unique représentation de la Belle au Bois Dormant, aux côtés d’Audric Bezard, son partenaire de prédilection: cette prise de rôle réussie, sous le coaching d’Agnès Letestu, leur avait valu une nomination aux Benois de la Danse. Avec Le Palais de Cristal de Balanchine ou Paquita en tournée au Canada, Laura Hecquet a montré qu’elle était capable d’assumer des responsabilités au sein de la compagnie, et ce n’en était que plus dommage de la voir s’étioler dans le corps de ballet (où l’on ne voyait qu’elle et sa suprême élégance), il y a quelques mois seulement.
On l’imagine parfaitement à son aise dans les programmes mixtes concoctés par Benjamin Millepied pour la prochaine saison, on aimerait la découvrir dans les grands ballets à histoire tels que l’Histoire de Manon, la Dame aux Camélias ou Onéguine, où la finesse de son interprétation devrait faire mouche, et pourquoi pas en Bayadère.
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