Déjà 9 ans que le Casse-Noisette de Rudolf Noureev n’a pas été repris à l’Opéra de Paris. En 2014, nous avions pu découvrir Léonore Baulac, Germain Louvet ou encore Hugo Marchand dans leur premier grand rôle. 9 ans, c’est une éternité à l’échelle d’une carrière de danseur et même dans le cycle de vie d’une compagnie, et c’est aussi le risque de voir la chaîne de transmission se distendre et un ballet qui était un pilier du répertoire devenir une pièce poussiéreuse. Cette reprise n’a pas démarré sous les meilleurs auspices, avec l’annulation des deux premières représentations de la série pour cause d’une grève des machinistes ayant perturbé les répétitions et ne permettant pas d’assurer les spectacles dans des conditions sereines.

Pour la première, le lundi 11 décembre, nous avons la chance d’assister à deux prises de rôle. Clara est dansée par Ines McIntosh, qui, à 21 ans, vient tout juste d’être promue première danseuse après une ascension express dans la hiérarchie du ballet. Le double rôle de Drosselmeyer et du Prince est endossé par Paul Marque qui reprend le flambeau d’un Mathias Heymann en parvenant à faire paraître fluides les chorégraphies tarabiscotées de Noureev. C’est sur le papier la distribution qui me tentait le plus : Paul Marque est incontournable dans le répertoire classique et la jeunesse d’Ines McIntosh rend plus crédible tout le premier acte.

Paul Marque tient cette représentation à bout de bras: il est tout simplement exceptionnel, c’est brillant, musical, jamais en force, et il sait aussi se mettre au service de sa partenaire inexpérimentée à ce niveau pour la mettre en confiance. Ines McIntosh fait une prise de rôle solide: il y a de vrais moments de grâce dans le partenariat avec Paul Marque. Dans ses solos, on voit le potentiel immense de cette ballerine, même s’il y a encore des détails à peaufiner avec une Variation de la Fée Dragée terminée à l’énergie. On l’imagine tout à fait assurer la relève d’une Myriam Ould-Braham: il y a quelques similitudes dans le style. En tout cas, elle interprète fort bien Clara et le spectateur frémit pour elle dans le passage toujours assez effrayant de l’attaque des rats.

La soirée laisse néanmoins un sentiment mitigé. Entre un corps de ballet qui n’a plus forcément la chorégraphie dans les jambes et les contretemps sur la préparation, il règne de fait une atmosphère quelque peu fébrile sur le plateau de l’Opéra Bastille. Certains décors, notamment le sapin de la demeure des parents de Clara, me semblent avoir perdu de leur splendeur (ou est-ce l’éclairage qui ne les met pas en valeur ?) et les changements de tableau sont poussifs et bruyants. En particulier, le moment que je trouve merveilleux pour ma part, la substitution du petit hussard par le Prince des rêves de la jeune Clara, n’a pas tout à fait la magie attendue : du haut de mon premier balcon, on voit clairement Paul Marque remplacer Rémi Singer-Gassner.

Au deuxième acte, la Valse des Fleurs est brouillonne et indigne de l’Opéra de Paris. Cela commence mal avec un danseur qui se retrouve isolé (à mimer la chorégraphie avec une partenaire imaginaire) au milieu des couples. Puis en plein milieu, une danseuse le rejoint (était-ce sa partenaire initiale ou une danseuse qui s’est glissée dans les tutus dorés en catastrophe). Vu de haut, c’est un peu le capharnaüm sur scène, et ce qui doit arriver arrive, lourde chute d’une danseuse au premier rang de l’ensemble … Ce sont les aléas du spectacle vivant, mais 2 incidents sur l’un des passages les plus majestueux du ballet, cela fait beaucoup. On note au passage que les ensembles avec les élèves de l’Ecole sont quant à eux impeccables. Au rayon des satisfactions, on apprécie la présence de Roxane Stojanov en flocon en chef et dans le duo très sensuel de la Danse Arabe avec Jérémy-Loup Quer (où elle remplaçait en dernière minute Héloïse Bourdon).

Antonio Conforti, Léo de Busserolles et Thomas Docquir sans « yellowface » livrent une réjouissante Danse Chinoise, rebadgée Danse des Acrobates pour l’occasion : l’Opéra s’attaque ainsi aux représentations raciales stéréotypées dans le ballet classique. Cela prêterait presque à sourire, étant donné la haute teneur psychanalytique de l’argument du ballet revisité par Noureev, pas exactement dans l’air du temps. En 2007, dans le Monde, Rosita Boisseau évoquait le vertige érotique (sic) de cette version et résumait ainsi l’argument : « Une ado reçoit en cadeau de son parrain un joli casse-noisette, viril comme un soldat. Elle s’endort et s’émancipe dans les bras de son hussard dont les traits ressemblent étrangement à ceux de Drosselmeyer (le parrain)». Une interprétation qui pourrait amener à considérer la reprise ou l’entrée au répertoire d’une version plus consensuelle.

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