Autant, sur mes deux précédentes visions du programme, le Daphnis et Chloé de Benjamin Millepied avait volé la vedette au Palais de Cristal de Balanchine, autant sur cette matinée, la balance penchait plutôt du côté des tutus somptueux de Christian Lacroix que de la scénographie géométrique de Daniel Buren.
Que s’est-il passé en une semaine ?
Tout simplement, le Palais de Cristal a bénéficié d’une distribution harmonieuse des solistes sur l’ensemble des quatres mouvements : on avait des couples, qui, au-delà de la virtuosité individuelle, fonctionnaient bien ensemble.
Mon coup de cœur de l’après-midi va à Ludmila Pagliero et Karl Paquette en bleu nuit. L’étoile argentine brillait de mille feux, parfaitement mise en valeur par Karl Paquette, qui démontre une fois encore qu’il est un partenaire d’exception. Les difficultés techniques s’estompent, et on ne voit plus que la poésie et le lyrisme de l’instant.
On retrouve également l’harmonie et la complicité dans le duo bondissant du troisième mouvement formé par Alice Renavand et Audric Bezard. C’est décidément très agréable de pouvoir admirer Alice Renavand dans un registre plus classique que celui où elle est habituellement distribuée : elle a l’air d’y prendre beaucoup de plaisir, aux côtés d’Audric Bezard, en passe de devenir le prince idéal.
Dans le 1er mouvement, Nolwenn Daniel était sans doute moins spectaculaire techniquement qu’Amandine Albisson, mais sa danse légère et subtile était mieux assortie au gabarit de son partenaire Josua Hoffalt, qui, du coup, avait plus de présence sur scène. En deuxème plan, on ne pouvait s’empêcher de remarquer Laura Hecquet, parfaite dans ce style de ballet. Elle sera associée à Audric Bezard (avec lequel elle a dansé la Belle au Bois Dormant cet hiver, ce qui leur vaut une nomination aux Benois de la Danse) comme premiers solistes du 2ème mouvement le 6 juin: sans doute un beau moment en perspective.
Dans le 4ème mouvement, aux côtés de Valentine Colasante, Emmanuel Thibault semblait moins stressé, et avait retrouvé le ballon aérien qu’on aime tant chez lui. Cette harmonie dans la distribution se retrouve dans le final où l’ensemble des « couleurs » fusionnent : cet après-midi, j’avais vraiment l’impression de voir miroiter les cristaux de toutes les couleurs.
On se prend à regretter que Ludmila Pagliero et Karl Paquette n’aient pas participé à Daphnis et Chloé, dont la beauté réside principalement dans la fluidité des pas de deux. En effet, cette matinée, qui était la prise de rôle de la troisième distribution de la pièce de Benjamin Millepied, a souffert d’un manque d’alchimie entre ses danseurs. Pourtant, on pouvait penser que la distribution plus jeune du quatuor amoureux (Amandine Albisson, Marc Moreau, Léonore Baulac, Allister Madin) collait mieux avec l’esprit du roman de Longus que la distribution de « vétérans » de la création (Aurélie Dupont, Hervé Moreau, Eléonora Abbagnato, Alessio Carbone).
Premier constat, là où s’opposaient Hervé Moreau – Daphnis, danseur noble, et Alessio Carbone – Dorcon, demi-caractère, on a du mal à distinguer les deux rivaux dans le cœur de Chloé, Marc Moreau et Allister Madin, si ce n’est par un détail vestimentaire, t-shirt pour l’amoureux romantique, débardeur pour le mauvais garçon. J’aurais également volontiers échangé Chloé (Amandine Albisson) et Lycénion (Léonore Baulac).
La tâche n’est pas facile pour Marc Moreau, qui remplace Mathias Heymann initialement prévu sur la série. Il n’est après tout que sujet et se retrouve avec le rôle principal dans la création dont tout le monde parle : cela s’est senti au début du ballet, où par moment il semblait tendu et chercher sa place sur scène. Ainsi, il manquait à son premier solo l’ampleur et le lyrisme de la danse d’Hervé Moreau, et l’interaction avec Chloé, Amandine Albisson, était hésitante. Au final, les duos Amandine Albisson – Allister Madin et Léonore Baulac – Marc Moreau fonctionnaient beaucoup mieux que la paire Daphnis – Chloé, sans doute logique car ils avaient eu plus de temps de répétition ensemble.
Le déséquilibre du couple principal entraîne ainsi une curieuse impression de langueur sur scène, la danse et la musique semblent par moment être dissociées, une impression renforcée par le fait que la scénographie de Buren est totalement indépendante de la chorégraphie.
La deuxième partie est néanmoins plus percutante. Le mérite en revient au passage des pirates, qui, au fil des visions, s’avère le moment le plus enthousiasmant du ballet. Fabien Révillion, déjà présent dans le 3ème mouvement du Palais de Cristal, campe un Bryaxis, moins brutal que celui de François Alu, un pirate aristocrate (?). Sa variation diffère de celle de François Alu, mais il livre également une performance spectaculaire : des cabrioles battues de toute beauté et un manège en accélération progressive d’une grande musicalité. Dans son pas de deux avec Amandine Albisson, il arrive à susciter enfin un peu d’émotion.
Le lever du jour reste un sommet musical, et la chorégraphie est visuellement très esthétique et parfaitement exécutée par Amandine Albisson et Marc Moreau, mais il manque toujours ce petit supplément d’âme qu’avaient su y insuffler Aurélie Dupont et Hervé Moreau, qui nous emmenaient dans un ailleurs peuplé d’étranges formes géométriques, alors qu’aujourd’hui, nous n’avons vu que des danseurs qui réalisaient des pas et des portés dans un dispositif scénique.
Curieusement, les artistes ont été beaucoup plus applaudis que la semaine précédente, et on a frôlé la standing ovation avec l’apparition imprévue du chorégraphe, invité par Amandine Albisson.
Reste à attendre la séance cinéma du 3 juin pour se replonger dans la distribution parfaite de la première.
Mots Clés : Alice Renavand,Allister Madin,Amandine Albisson,Audric Bezard,Balanchine,Benjamin Millepied,Daphnis et Chloé,Emmanuel Thibault,Fabien Revillion,Josua Hoffalt,Karl Paquette,Laura Hecquet,Le Palais de Cristal,Léonore Baulac,Ludmila Pagliero,Marc Moreau,Nolwenn Daniel,Valentine Colasante