La Dame aux Camélias fait partie des grands ballets romanesques du répertoire de la danse internationale. Le ballet créé en 1978 à Stuttgart par John Neumeier pour sa muse Marcia Haydée revient une sixième fois à Paris depuis son entrée au répertoire en 2006, dans le cadre au combien approprié de Garnier, tellement évocateur du demi-monde parisien où se déroule l’intrigue du roman d’Alexandre Dumas fils. Voir cette œuvre sur la scène de l’opéra parisien, avec les costumes et décors sublimes de Jürgen Rose, se laisser porter par la sélection de pièces de Chopin qui accompagne les danseurs, donne l’impression de voyager dans le temps.

Le ballet, dont la trame est d’une remarquable fidélité au roman, est construit comme un flashback et débute par la vente aux enchères du mobilier de Marguerite Gautier, une scène d’exposition qui permet de rencontrer les différents personnages qui ont peuplé l’univers de la courtisane. Chacun des 3 actes met en scène une saison des amours de Marguerite et d’Armand et s’articule autour d’un long pas de deux. L’alchimie entre les deux interprètes principaux est essentielle à la réussite de la soirée, qui peut, par ailleurs, souffrir de certaines longueurs si les ensembles, les « amis » et le couple fantasmagorique Manon / Des Grieux (utilisé comme une mise en abyme de l’histoire de Marguerite et d’Armand)  ne sont pas au diapason du couple vedette.

A l’exception d’Eleonora Abbagnato qui incarnera pour la dernière fois Marguerite sur cette série de Noël, les danseuses qui ont marqué dans le rôle de la courtisane phtisique sont désormais à la retraite. Une nouvelle génération de danseuses va donc aborder ce rôle convoité par toutes les ballerines de la planète. Léonore Baulac fait partie des danseuses retenues par John Neumeier et il a choisi de l’associer à un Armand expérimenté, Mathieu Ganio, qui dansait déjà le rôle en 2006, un couple complétement inédit sur la scène de l’Opéra. J’étais curieuse de découvrir cette association plutôt étonnante : la logique s’accommode mieux d’un couple avec une interprète féminine plus âgée ou d’une parité au niveau de l’âge (ce qui est le cas dans le roman) et par ailleurs, la blondeur botticellienne de Léonore Baulac est à mille lieues de la représentation que l’on se fait du personnage. Cependant, ses qualités de tragédienne, sa faculté à aller à la rencontre de ses partenaires et son aisance dans le style de Neumeier (après tout, il lui avait confié son premier vrai rôle de soliste avec Olympia, la rivale de Marguerite) laissaient augurer le meilleur pour cette première rencontre avec Mathieu Ganio.

Me voilà donc idéalement installée placée au 1er rang d’une loge de face, me réjouissant de passer une excellente soirée devant un ballet que j’adore : je l’ai déjà vu 3 fois à l’Opéra, revu de multiples fois en DVD, sans compter les visionnages des pas de deux emblématiques sur You Tube. Je restais sur les souvenirs très forts des adieux d’Agnès Letestu, l’apothéose de son association avec Stéphane Bullion, et du couple extrêmement émouvant Isabelle CiaravolaKarl Paquette. Malheureusement, le 7 décembre, j’ai trouvé que l’encéphalogramme de la passion est resté plat toute la soirée.

C’est la 2ème représentation de Léonore Baulac, et j’ai le sentiment qu’elle n’a pas encore trouvé sa Marguerite. Au premier acte, on peine à la repérer sur scène, la faute à une perruque (?) qui la transforme en clone d’Agnès Letestu. Où est la reine du demi-monde, qui met Paris à ses pieds d’un battement de cils ? Les regards se tournent plutôt vers Muriel Zusperreguy, pétillante Prudence, ou Héloïse Bourdon qui donne la pointe de vulgarité souhaitée à Olympia, et surtout vers Eve Grinsztajn dont la Manon a tout d’une femme fatale. Dans le ballet dans le ballet, elle brille de mille feux au milieu de ses soupirants (Yann Chailloux, Axel Ibot, Fabien Révillion) et Marc Moreau, intéressant des Grieux. Je n’ai rien vu du petit manège de Marguerite pour séduire Armand (qui passe par les postures et le jeu des regards) et il manque au pas de deux dans le boudoir de Marguerite la spontanéité des premiers emportements amoureux et le côté maladroit et impétueux d’Armand (Mathieu Ganio reste un prince envers et contre tout, et n’est pas spécialement convaincant en jeune provincial fasciné par la vie parisienne).

La partie de campagne du 2ème acte fait partie des moments réussis, notamment grâce au corps de ballet et à la joie de danser et la musicalité de Paul Marque et Muriel Zusperreguy. Léonore Baulac (avec sa vraie chevelure) est plus dans son élément en Marguerite se réinventant en jeune fille en fleur pour Armand, mais, pour le coup, c’est Mathieu Ganio qui paraît bien sérieux. Ce n’est donc pas avec le « white » pas de deux que le couple va décoller. Marguerite et Armand ne sont pas deux purs esprits, vivant un amour platonique, ce pas de deux doit dégager une certaine sensualité : les deux danseurs semblent ici bien timorés dans l’expression de leur passion. A la fin de la confrontation entre Marguerite et le père d’Armand (Yann Saïz), on frôle le contresens, avec Léonore Baulac qui s’enfuit en pleurant comme une petite fille contrariée. L’acte se termine néanmoins par le moment de la soirée : un solo de la lettre sublime de Mathieu Ganio, mais pourquoi un tel accès de rage et de douleur pour ce qui, au vu de ce qui a précédé, n’est qu’une amourette.

Il réussit presque à ranimer l’intérêt pour le 3ème acte. Las, le « black » pas de deux a une précision toute mécanique (avec une danseuse qui a l’air à chaque porté/pose de penser très fort à ce qu’elle doit faire et de chercher des yeux le miroir), et je dois avouer que, même dansé en gala, il m’a paru plus intense et émouvant. Heureusement, l’Olympia d’Héloïse Bourdon réveille tout le monde, et notamment Armand : le jeu est peut-être un peu outré mais il a le mérite de se projeter dans la salle. Et c’est le comble : c’est dans le pas de trois final Marguerite – Manon – des Grieux transformé en pas de deux improvisé (suite à la blessure d’Eve Grinsztajn) avec Marc Moreau que j’ai retrouvé la Léonore Baulac que j’aime, celle qui danse comme elle respire.

Un rendez-vous manqué avec la Dame à rattraper d’urgence.

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