Variation sur le thème d’un ballet oublié de 1866, la Source est un ballet précieux qui trouve naturellement sa place dans l’écrin du Palais Garnier. Jean-Guillaume Bart, ancien danseur étoile de la maison, à la carrière trop tôt achevée, n’a pas retenu une approche d’exégète avec reconstitution minutieuse pour faire revivre la Source. Sa chorégraphie est construite pour mettre en valeur les qualités des danseurs d’aujourd’hui tout en évoquant les références et les codes du ballet romantique.
Ainsi, la scénographie imaginée par Eric Ruf évoquera au spectateur la scène d’un théâtre laissé l’abandon pendant plus d’un siècle, rideaux rouges défraîchis et poussiéreux, cordes tombant des cintres, faibles éclairages, qui serait à nouveaux investie par des danseurs vêtus de costumes chatoyants signés Christian Lacroix. Ils s’amuseraient à donner une représentation du dernier ballet présenté dans cette salle, en interprétant l’histoire avec leur sensibilité de jeunes gens du XXIème siècle, mais en reviendrait à l’essentiel, le plaisir de la danse classique sous toutes ses formes, citant et pastichant les variations de ballets célèbres.
Le livret du ballet originel, adapté par Clément Hervieu-Léger, importe finalement assez peu. Ce n’est ni Giselle ni le Lac des Cygnes : on ne va pas s’attacher au destin des personnages mais on a hâte de découvrir leur langage dansé qui les relie à un archétype du personnage de ballet romantique.
Dans un Caucase imaginaire, Mozdock conduit sa soeur Nourreda vers son promis, le Khan. Leur cortège fait halte dans une clairière peuplée de créatures surnaturelles, nymphes et elfes, qui vénèrent la source et son esprit, Naïla. Djemil, un jeune chasseur qui vit en harmonie avec la nature et qui vient à passer par là, s’éprend de Nourreda, mais est molesté par les hommes de Mozdock et laissé pour mort. Avec l’aide de Naïla et des elfes, il va retrouver Nourreda à la cour du Khan, où elle tente, sous la coupe de son frère, de supplanter Dadjé, la favorite en titre : Naïla va séduire le Khan, provoquant la répudiation de Nourreda. Nourreda, humiliée, semble se laisser mourir, mais Naïla, bien qu’éprise de Djemil, va se sacrifier pour, grâce à un sortilège, redonner la vie à Nourreda et permettre à Djemil et Nourreda de s’aimer.
Selon les distributions, le spectateur a néanmoins l’impression de découvrir un ballet différent.
Le 3 décembre, Ludmila Pagliero, en Naïla, convoque sur scène l’esprit de la Sylphide: elle prête à son personnage sa légèreté, le raffinement de ses pieds, cette faculté à flotter sur scène qui hypnotise la salle. Elle était secondée par Emmanuel Thibault, elfe bondissant, talent trop rare et dont les qualités virtuoses sont mises en valeur par ce rôle. Vincent Chaillet est un Mozdock viril et bagarreur , très charismatique en meneur de danse de caractères énergiques. Malgré tout le talent dramatique de Laetitia Pujol, sa Nourreda semble avoir du mal à exister face à la puissance de Mozdock et l’abnégation totale de Naïla: on a du mal à s’intéresser à ce personnage qui se laisse porter par les évènements et ne cherche jamais à inverser le cours du destin. De même, Karl Paquette n’a pas hérité du rôle le plus valorisant avec Djemil, que ce soit en terme de chorégraphie, de costume ou de dramaturgie : on lui en voudrait presque de laisser Naïla se sacrifier, pour partir avec une “héritière”. Il parvient néanmoins à faire ressentir un début de dilemme, dans le pas de deux final avec Naïla, porté par la complicité des deux danseurs qui sont très souvent associés. Il faudra également souligner l’odalisque tout droit sorti d’un tableau orientaliste de Nolwenn Daniel ainsi que le très beau travail de Alexis Renaud dans le pas de deux du Khan avec Naïla. Une représentation sous le signe d’une certaine poésie nostalgique.
Le 10 décembre, le trait est brossé avec plus de vigueur: le poème a fait place une aventure exotique. Cette fois, l’histoire est centrée sur le couple Djemil – Nourreda. François Alu a un jeu très naturaliste. Là où Karl Paquette apparaissait comme un doux rêveur, il est un jeune homme débrouillard, capable d’épater la galerie avec ses pirouettes qui n’en finissent pas et des sauts virtuoses. Le contraste est assez saisissant avec la Nourreda fière et sophistiquée d’Eve Grinsztajn, et la relative brusquerie du jeune homme dans les pas de deux illustre l’écart social entre Nourreda et Djemil. Le Mozdock d’Audric Bezard est colérique et ombrageux et l’interaction avec Eve Grinsztajn est très réussie. Valentine Colasante est une explosive favorite du Khan. Les créatures surnaturelles, la Naïla de Muriel Zusperreguy et le Zaël d’Allister Madin, sont ce soir de charmants facilitateurs qui font avancer l’action sans voler la vedette aux humains.
La Source, réinventée par Jean-Guillaume Bart, présente enfin une qualité essentielle: elle propose six beaux rôles de solistes et de nombreux passages chorégraphiés pour des ensembles. La danse s’y enchaîne de façon fluide et naturelle, parvenant à faire s’évader le spectateur sans autres artifices qu’un décor finalement assez épuré et la musique de Minkus et Delibes: le cadeau d’un amoureux de la danse à la troupe de son coeur.
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