C’est déjà l’heure du dernier spectacle d’une courte saison à l’Opéra avec une soirée consacrée aux Jeunes Danseurs. La dernière soirée de ce type remontait à avril 2014 et la fin de l’ère Brigitte Lefèvre. Benjamin Millepied n’avait pas besoin de ce type d’artifice pour mettre sur le devant de la scène les talents en devenir, encore cachés au fond du corps de ballet : il leur chorégraphiait des pièces sur mesure. Après 2 saisons quasi sans spectacle et une programmation en pointillés qui a fait assez logiquement la part belle aux solistes de la compagnie, il était urgent de donner un peu de temps sur le devant de la scène aux artistes qui sont habituellement l’âme du corps de ballet.

Parmi les Jeunes Danseurs, on notera un certain nombre d’artistes qui étaient déjà présents en 2014, donc pas si jeunes que cela au sein de la compagnie : Jérémy-Loup Quer, Florent Mélac, Antonio Conforti, Mathieu Contat, Alexandre Gasse. Curieusement, ces « redoublants » se comptent exclusivement dans les rangs masculins. Pour les jeunes femmes, la concurrence est telle que celles qui ne sont pas devenues premières danseuses ou étoiles sont immédiatement confrontées à de nouvelles venues tout aussi talentueuses.

La programmation était conforme à ce que l’on peut attendre d’un gala de danse international, avec une alternance de pas de deux classiques virtuoses et de pièces contemporaines consensuelles. La proportion de pièces puisées dans le répertoire de l’Opéra était minoritaire : seulement 4, dans la section académique, avec 3 Noureev et 1 Bournonville, pour 6 entrées au répertoire. Contrairement au gala de danse où les stars de la danse viennent cachetonner, cette soirée revêtait une importance capitale pour les artistes, l’opportunité d’être sur la scène dans la peau de solistes et peut-être d’impressionner Aurélie Dupont présente dans la salle pour obtenir davantage de temps de scène. Pour les recrues du ballet 2020, comme Keita Bellali, c’était peut-être même une première tout court sur la scène de Garnier dans un spectacle chez les « grands ». Une certaine tension était donc palpable et la perfection technique n’était pas toujours au rendez-vous pour ceux qui étaient distribués sur les pièces académiques.

Fête des Fleurs à Genzano – Victoire Anquetil et Marius Rubio

Avec le Pas de Deux, extrait de la Fête des Fleurs à Genzano d’Auguste Bournonville, on est encore un peu à l’Ecole de Danse qui avait d’ailleurs dansé cette pièce lors de son spectacle 2014. Démonstration du travail de bas de jambes, tout en rapidité et en virtuosité, cette chorégraphie pour sortir de la curiosité historique mériterait d’être dansée par les étoiles. On y imagine fort bien Myriam Ould-Braham et Mathias Heymann. Si Victoire Anquetil, coryphée depuis 2018, et Marius Rubio, engagé en 2019, ne déméritent pas, ils ont du mal à se départir d’une concentration extrême sur l’exécution des pas, au détriment de l’insouciance toute italienne sensée flotter dans l’atmosphère.

La Belle au Bois Dormant – Luca Peigné et Chun-Wing Lam

Dans le Pas de Deux de l’Oiseau Bleu extrait de la Belle au Bois Dormant, Luna Peigné et Chun-Wing Lam font preuve d’une belle complicité et nous offre un vrai petit ballet en miniature. C’est finement dansé, rapide et on entre enfin pleinement dans la soirée. La performance de Chun-Wing Lam n’est pas vraiment une surprise : c’est un danseur doté d’une belle technique qui vient seulement monter coryphée mais il avait été assez malchanceux à l’occasion des concours (blessure, forte concurrence dans sa classe d’âge). Il s’avère un excellent partenaire pour sa danseuse, une quasi débutante puisqu’engagée en 2019, Luna Peigné, une jeune femme à suivre lors des prochains concours.

And… Carolyn – Andrea Sarri et Clémence Gross

Alan Lucien Øyen avait été invité pour créer un full length ballet en avril 2020. Cette création mondiale est pour l’instant reportée sine die. Nous avons néanmoins un aperçu du travail du chorégraphe norvégien avec l’entrée au répertoire d’un pas de deux créé en 2007, And… Carolyn. Le chorégraphe a été inspiré par le film American Beauty de Sam Mendes, dont il utilise la bande originale et le monologue final de Kevin Spacey. On sent l’influence de Mats Ek (celui de Solo for 2 ou d’Another Place) dans cette pièce où Andrea Sarri crève l’écran. Tout juste passé sujet, comme sa partenaire Clémence Grosse, le danseur est en train de devenir incontournable dans le répertoire contemporain à l’Opéra. Espérons qu’il n’y restera pas cantonné car il a aussi de belles choses à montrer en classique. Clémence Gross, plutôt abonnée aux rôles de demi-solistes dans les ballets classiques, a percé avec sa distribution dans le Faun de Sidi Larbi Cherkaoui. On sent deux danseurs avec déjà une grande maturité artistique, à même de porter une chorégraphie sur leurs épaules.

Flammes de Paris – Jérémy-Loup Quer et Célia Drouy

On se fait encore plus cette réflexion quand on voit apparaître sur scène Jérémy-Loup Quer pour un morceau de bravoure, extrait du ballet soviétique, Flammes de Paris. Distribué régulièrement comme un premier danseur, il n’est plus vraiment à sa place dans ce type de soirée et l’on se dit qu’il serait sans doute principal s’il tentait sa chance dans une compagnie étrangère. En tout cas, c’est un répertoire qui sied particulièrement à sa danse à la fois très virile et élégante, et c’est par ailleurs un partenaire extrêmement sûr pour Célia Drouy, toute fraîche coryphée. On retrouve ce petit quelque chose qui attirait déjà l’œil lors des spectacles de l’Ecole de Danse en 2015 et 2016 où elle était très mise en avant.

Non Rien de Rien – Lucie Devignes et Max Darlington

Non Rien de Rien sur la chanson d’Edith Piaf est une petite pièce d’ambiance chorégraphiée par Ivan Favier et souvent présentée dans les galas hors les murs des danseurs de l’Opéra. Les quadrilles Lucie Devignes et Max Darlington y sont charmants à souhait.

Les Indomptés – Alexandre Boccara et Andrea Sarri

Au retour de l’entracte, Andrea Sarri est à nouveau remarquable avec une présence d’un magnétisme rare, cette fois ci associé à un partenaire masculin, Alexandre Boccara dans le duo Les Indomptés chorégraphié par Claude Brumachon. Ce ballet d’une dizaine de minutes datant de 1992 a également beaucoup voyagé en gala et son entrée au répertoire est une belle reconnaissance pour son créateur. C’est une chorégraphie facile à regarder, pas forcément inoubliable, mais qui fait effet sur le moment.

Le Lac des Cygnes – Antonio Conforti, Camille Bon et Mathieu Contat

Le Pas de Trois du Lac des Cygnes (Odile, Siegfried Rothbart) est quant à lui riche d’enseignements. Il met en évidence le niveau technique requis pour parvenir à l’excellence dans le grand répertoire classique. On voit combien ce répertoire est cruel et exigeant par rapport au néo-classique / contemporain des pièces précédentes. La moindre imprécision se paie cash, d’un déséquilibre ou d’une quasi-chute. Camille Bon, Mathieu Contat et Antonio Conforti ont réussi à raconter une histoire sur ce trio, clairement dominé par le Rothbart d’Antonio Conforti. Le danseur italien, bien que seulement coryphée, a beaucoup plus d’expérience de la scène au premier plan et c’est un des artistes de la troupe le plus attachant et le plus sous-coté. Pour ce danseur à la sensibilité exacerbée, le rôle du méchant Rothbart est presqu’un contre-emploi, mais c’est très intéressant de l’y découvrir. Il livre par ailleurs une très belle variation qui aurait sa place au côté d’une distribution étoilée. Camille Bon et Mathieu Contat n’ont pas le même vécu, et cela se ressent au travers d’une certaine fébrilité technique, même si l’on entrevoit une partie de leur potentiel. Mathieu Contat dans sa première variation démarre ainsi de façon assez magistrale, avec un ballon et une amplitude que je n’ai pas vu fréquemment sur cette scène, puis il se retrouve malheureusement en difficulté dans les méandres du vocabulaire chorégraphique de Noureev, échappant à la chute de peu.

After the Rain – Florent Mélac et Roxane Stojanov

Les trois dernières pièces de la soirée sont celles qui m’ont le plus emballée. Dans After the Rain tube planétaire du chorégraphe britannique Christopher Wheeldon sur une composition moulte fois entendue au cinéma d’Arvo Pärt, Roxane Stojanov nous fait la démonstration de sa puissance de séduction. Elle a tout d’une future étoile, avec peut-être une personnalité trop affirmée dans l’univers de l’Opéra. L’alchimie avec Florent Mélac que cela fait plaisir de revoir à ce niveau est un régal pour les yeux.

Roméo et Juliette – Nine Seropian et Alexandre Gasse

L’extrait du final de Roméo et Juliette version Angelin Preljocaj était très intéressant à découvrir en regard de la version Noureev actuellement reprise à Bastille. Nine Seropian et Alexandre Gasse sont bouleversants dans ce duo, qui embarque immédiatement le spectateur.

La Belle au Bois Dormant – Bleuenn Battistoni et Keita Bellali

Enfin le Pas de Deux du Mariage de la Belle au Bois Dormant était une très belle conclusion. La parfaite entente du couple Bleuenn BattistoniKeita Bellali était réjouissante à voir dans la première partie du pas de deux, avec un échange constant entre les deux danseurs au travers des regards et des épaulements et une diagonale de portés poissons magistrale. On aurait très envie de voir l’entrée dans le monde et l’adage à la rose de l’Aurore campée par Bleuenn Battistoni. Keita Bellali, toute jeune recrue (1 Concours non classé au compteur seulement), m’a fait forte impression, de par sa sûreté dans le partenariat et de son aplomb technique. Ils ont eu le droit à des applaudissements nourris.

Petit regret que, contrairement à une soirée de gala traditionnelle, l’ensemble des artistes ne soient pas venus saluer. Cette soirée avec musique enregistrée et décors minimalistes, au tarif normal, n’a pas du trop creuser le déficit de l’Opéra. Ce serait bien de réitérer l’expérience régulièrement pour permettre au public de découvrir les danseurs du  corps de ballet, qu’ils soient de futurs solistes ou simplement destinés à être des piliers de la troupe.

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