La soirée consacrée aux jeunes danseurs ne restera pas dans les annales de la saison 2013-2014. La faute en revient à la programmation qui pourrait être l’une des playlists d’une chaîne You Tube consacrée à Brigitte Lefèvre et dont l’objectif majeur semble être de prouver à ceux qui en douteraient et à son successeur que la Directrice de la Danse a toujours été à l’avant-garde et qu’elle n’a cessé de stimuler la créativité en interne. On en oublie au passage la thématique de la soirée, à savoir la mise en valeur des qualités des jeunes danseurs qui ont trop rarement l’occasion de briller sur le devant de la scène. J’ai ainsi trouvé bien plus intéressants du point de vue de la découverte des jeunes talents le spectacle de la compagnie de Samuel Murez ou les galas de Karl Paquette.
Dans ce format de type gala, le pari était risqué de ne programmer aucun « tube » de la danse. Seul le pas de deux du Parc pouvait revendiquer ce statut. Faire naître un peu d’émotion, donner corps à des personnages en moins de 10 minutes sur des pièces peu connues, c’est un défi qui s’est révélé trop difficile pour la plupart des artistes, d’où la sensation d’une soirée décousue voire languissante par moment.
La première partie était la plus distrayante. Elle a fait office de bande-annonce pour la saison prochaine avec des extraits des Enfants du Paradis de José Martinez et de la Source de Jean-Guillaume Bart, et a au moins eu le mérite de ne pas nous dissuader d’aller les voir.
Dans le premier, Hannah O’Neill et Mathieu Contat délivrent un pas de deux classique très joliment exécuté. L’extrait de la Source est là pour nous rappeler que le Ballet de l’Opéra de Paris est bien une compagnie de danse classique. La chorégraphie est redoutable. Alice Catonnet, délicate nymphe sylvestre, s’en sort avec brio. C’est plus compliqué pour ses partenaires masculins, Florent Melac et Antoine Kirscher, mais à leur décharge, à la création du ballet, hormis Mathias Heymann impérial, leurs aînés étaient également en difficulté sur certains enchaînements de pas.
L’extrait de Wuthering Heights de Kader Belarbi semblait un peu dépourvu de sens : il n’y a pas suffisamment de difficultés techniques ou d’impact visuel dans ce passage pour susciter l’intérêt, hors du déroulement complet de la narration, malgré tout le charme de Takeru Coste et de Laura Bachman.
Dans Réversibilité (Michel Kelemenis) et Le Parc (Prejlocaj), c’est la personnalité des ballerines Jennifer Visocchi et Charlotte Ranson qui est véritablement ressortie.
La deuxième partie remporte la palme de l’assemblage hétéroclite.
On accordera à l’extrait du Caligula de Nicolas Le Riche d’être le seul moment de la soirée où les danseurs ont réussi à apporter un supplément d’âme à leur danse, notamment grâce à une interprétation habitée d’Alexandre Gasse dans le rôle titre, bien soutenu par Letizia Galloni et Germain Louvet. Ils ont reçu l’ovation la plus chaleureuse de la soirée.
Vient ensuite l’ovni du programme, Quatre Figures dans une Pièce de Nicolas Paul, une pièce assez aride qui n’aurait pas déparé aux côtés du Teshigawara et du Trisha Brown de cet automne. Ma description, je l’avoue, est assez prosaïque et premier degré. Quatre danseurs dans un carré de 4 m sur 4, chacun dans son carré de 2 m sur 2, pendant que l’un d’entre eux danse, les trois autres écrivent frénétiquement sur le sol à la craie blanche remplissant peu à peu leur carré, au rythme d’une musique de Terry Riley (un des fondateurs de la musique minimaliste) qui m’a donné un sentiment d’oppression et suscité une envie irrépressible d’éternuer. Les vingt minutes m’ont paru très longues, mais c’est sans doute la seule partie de la soirée dont je me souviendrai dans un an.
Après ce moment de danse exigeante, il fallait faire décompresser un peu le spectateur stressé. Place donc à deux pas de deux rythmés, fluides, sur de la musique électronique : Fugitif de Sébastien Bertaud , bel exercice mettant en valeur la plastique de Lucie Fenwick et Mickaël Lafon suivi de Genus de Wayne Mc Gregor, le maître de cette veine chorégraphique, porté par Juliette Hilaire et Hugo Marchand. La soirée se conclut sur une note d’ouverture vers l’avenir avec Amoveo de Benjamin Millepied : cette chorégraphie chic et sage est servie par un duo de grande classe Léonore Baulac et Jérémy-Loup Quer.