La soirée Balanchine – Millepied, c’est un peu le programme champagne de la saison, l’alliance de l’élégance et du bon goût à la française avec le glamour et le sens du spectacle américains. Autant dire qu’on est très loin des réflexions moroses sur notre monde cruel, on est là pour célébrer la danse et admirer pléthore d’étoiles sur 2 grandes partitions de la musique française, la Symphonie en Ut de Bizet chorégraphiée par George Balanchine, le maître de ballet historique du New York City Ballet, et Daphnis et Chloé de Ravel, revisitée par Benjamin Millepied, danseur étoile de ce même New York City Ballet et futur directeur de la danse de l’Opéra de Paris.
Le Palais de Cristal
Premier mouvement : Ludmila Pagliero (15/05), Amandine Albisson (18/05), Josua Hoffalt
Deuxième mouvement : Agnès Letestu – Vincent Chaillet
Troisième mouvement : Valentine Colasante, Pierre-Arthur Raveau (15/05), Ludmila Pagliero, Emmanuel Thibault (18/05)
Quatrième mouvement : Charline Giezendanner (15/05), Valentine Colasante (18/05), Christophe Duquenne
C’est dans sa première version, intitulée le Palais de Cristal, créée pour l’Opéra de Paris en 1947, que la pièce de Balanchine est donnée. Il a ensuite remonté ce ballet pour sa compagnie sous le titre Symphony in C, ajustant la chorégraphie à la technique de ses danseurs et adaptant la scénographie et les costumes aux moyens économiques plus réduits du New York City Ballet : les décors et costumes chatoyants de Leonor Fini sont ainsi remplacés par un fond bleu et un sobre noir et blanc pour les costumes. La version du Palais de Cristal proposée cette année est une nouvelle production, sans décors spécifiques mais avec de beaux jeux d’éclairage, et des costumes de toute beauté créés par Christian Lacroix. A chaque mouvement de la symphonie, est associée une couleur, rubis, bleu nuit, émeraude, rose pâle. La chorégraphie est d’une grande beauté formelle, puisant dans l’histoire de la danse, de l’école française et l’héritage de Balanchine, pour épouser totalement la musique. Si la symphonie de Bizet se voulait un hommage aux grandes symphonies classiques, le ballet abstrait de Balanchine est un hommage à la danse classique.
Pour chaque mouvement, un couple de premiers solistes, deux couples de solistes et le corps de ballet dialoguent avec l’orchestre au travers de pas virtuoses, miroirs de la virtuosité de la partition. Tous les danseurs se retrouvent pour un final éblouissant.
Si je devais retenir un seul moment, c’est sans doute le retour d’Agnès Letestu, étoile invitée, dans le deuxième mouvement, un adage sublime qu’elle a illuminé de toute sa classe. En prince charmant attentionné (et un peu stressé le premier soir), Vincent Chaillet a mis en valeur sa partenaire : leur couple dégageait une très belle harmonie physique. Pour le coup, un moment d’émotion dans un ballet qui ne s’y prête pas forcément, et le tutu et le pourpoint d’un saphir profond souligné de jais sont mes préférés de la soirée.
C’était aussi l’occasion d’admirer les plus jeunes talents de la compagnie.
Dans le premier mouvement, Amandine Albisson a justifié son tout nouveau statut d’étoile, une série de fouettés particulièrement brillants lui a valu des applaudissements intempestifs, couvrant l’orchestre. Elle a été encore plus virtuose que Ludmila Pagliero le 15 mai, même si le partenariat avec Josua Hoffalt manque un peu de chaleur. Par ailleurs, la beauté de ce passage était rehaussée par la qualité des deux autres paires de solistes: Laura Hecquet – Yannick Bittencourt et Fanny Gorse – Fabien Révillion.
Dans le troisième mouvement, très vif, avec de grands sauts, le couple vert Valentine Colasante et Pierre-Arthur Raveau nous a éblouis par sa musicalité, son énergie et sa vista, très bien accompagnés par des techniciens hors pairs, Héloïse Bourdon – Yannick Bittencourt et Séverine Westermann – Fabien Révillion. Ce troisième mouvement a été fatal à Ludmila Pagliero le dimanche : elle s’est fait mal sur un des grands jetés au tout début du mouvement. Elle a courageusement poursuivi, en marquant les sauts, et en ne réalisant pas son solo au 3/4 du mouvement. Pour le final du ballet c’est Héloïse Bourdon qui a pris la relève aux côtés d’Emmanuel Thibault. J’ai hâte de la voir en première soliste dans ce ballet. Je trouve qu’elle a un éclat particulier sur scène.
Dans le quatrième mouvement, je retiendrais à nouveau la performance de Valentine Colasante, à qui ce répertoire semble aller comme un gant.
Le final du ballet est un véritable feu d’artifice : le rappel des motifs musicaux de la symphonie est rendu visuellement par le retour successif de chacune des couleurs sur scène, et des motifs chorégraphiques associés, qui fusionnent en quelque sorte.
Daphnis et Chloé
Chloé : Aurélie Dupont, Daphnis : Hervé Moreau, Lycénion : Eleonora Abbagnato, Dorcon : Alessio Carbone, Bryaxis : François Alu
Avec Daphnis et Chloé, on quitte une danse abstraite pour un ballet narratif, sans doute plus grand public. Pourtant, l’intrigue du roman grec de Longus, datant du IIème siècle, qui était le sujet du ballet commandé par Diaghilev à Ravel et Fokine en 1909, n’est ici qu’un lointain souvenir.
Comme pour le Palais de Cristal, la partition de Ravel est au cœur du ballet. Elle guide la narration et la chorégraphie de Benjamin Millepied. Philippe Jordan, qui dirige l’orchestre pour ce ballet, évoquait justement une histoire atmosphérique, le fait de recréer sur scène l’impression de lumière que l’on éprouve sur les îles grecques. On n’est pas dans une recréation littérale de la Grèce antique : la scénographie signée de Daniel Buren, une sorte de kaléidoscope géant, est totalement abstraite et les costumes sont d’une grande simplicité, longues robes fluides pour les danseuses, t-shirt et pantacourts pour les danseurs, blanc pour les gentils, noirs pour les méchants.
Néanmoins cela fonctionne. On est capable de raconter une histoire en sortant (assez infidèle à l’original). Il y a Daphnis et Chloé qui s’aiment d’un amour pur, qu’ils n’osent complètement s’avouer, dans un lieu idyllique. La beauté de Chloé attise la convoitise d’un autre jeune homme, Dorcon : il est un peu hâbleur, sûr de sa séduction, mais Chloé n’a d’yeux que pour Daphnis, plus gracieux, plus doux, que convoite également une séductrice rouée, Lycénion. Des pirates attaquent la petite société pastorale : ils enlèvent Chloé et laisse Daphnis pour mort, avec la coupable complicité de Dorcon et Lycénion. Tandis que Chloé résiste aux avances du chef des pirates, Bryaxis, des nymphes intercèdent auprès des dieux en faveur de Daphnis. Le dieu Pan fait se lever une tempête, les pirates sont vaincus, et Daphnis retrouve Chloé. Tout se termine par un mariage, et les réjouissances qui s’ensuivent.
Si Benjamin Millepied a travaillé le rapport entre la danse et la musique, puisant dans sa culture « balanchinienne », il ne dédaigne pas pour autant le côté grand spectacle, avec des ensembles qui évoquent par moment l’âge d’or de la comédie musicale.
C’est notamment le cas dans le passage des pirates. François Alu s’y taille un petit succès personnel, avec un solo bluffant, qui déclenche une salve d’applaudissements et de bravi dans la salle (pas forcément bienvenue pour les mélomanes). Le jeune danseur s’engage totalement sur scène dans le personnage du pirate Bryaxis. Dans un pas de deux très fort avec Aurélie Dupont, il n’a vraiment pas l’air de faire semblant, et il fait sortir la ballerine de son habituelle réserve pudique (on se demande presque pourquoi Chloé ne reste pas avec le pirate).
On a même le droit à un acte blanc en réduction avec le tableau des nymphes magnifié par les jeux de lumière.
L’autre atout du ballet, ce sont les pas de deux. Le lever du jour et les retrouvailles de Daphnis et Chloé donnent lieu à un pas de deux Aurélie Dupont / Hervé Moreau délicat et fluide, tellement musical. Eleonora Abbagnato a également l’occasion de montrer quelle grande ballerine néoclassique elle est, au bras d’Hervé Moreau et d’Alessio Carbone.
On apprécie le fait que Benjamin Millepied ait chorégraphié pour mettre en valeur ses interprètes.
Eleonora Abbagnato est magnifique en femme tentatrice. Alessio Carbone, que l’on voit trop rarement sur scène, se voit confier un rôle à sa mesure : des sauts, des pirouettes, un peu de comedia dell’arte. Dans le corps de ballet, on ne voit que Léonore Baulac que le chorégraphe met particulièrement en avant. Hervé Moreau est, comme à son habitude, d’une élégance parfaite, et Aurélie Dupont, une fois n’est pas coutume, donne vraiment l’impression d’être heureuse sur scène.
Ce ballet est donc un spectacle distrayant et efficace. Le plaisir que l’on y prend est d’ailleurs à mettre autant au crédit de l’orchestre et des chœurs que des danseurs. Benjamin Millepied leur a concocté une chorégraphie néoclassique sur-mesure où ils semblent s’épanouir et être libérés: le contraste est frappant si l’on compare à la pièce qui précède, où les danseurs semblent beaucoup plus contraints, voire guindés.
Cette distribution sera à retrouver le 3 juin au cinéma.
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