En ce premier week-end de mai sous le signe de la grisaille, la scène de l’opéra Garnier fait figure d’oasis ensoleillée avec ses toiles peintes figurant l’Espagne pittoresque où se déroule l’intrigue de Paquita. La recréation de ce petit bijou du ballet romantique par Pierre Lacotte date de 2001 mais, à l’instar de Giselle, il fait figure d’étendard du répertoire classique de l’Opéra de Paris, régulièrement présenté lors des tournées de la troupe à l’étranger (au Bolchoï en 2013, à Montréal en 2014 ou au Danemark dans quelques jours). C’est sans doute ce qui explique que les danseurs semblent particulièrement à l’aise et heureux dans ce registre que d’aucuns pourraient considérer comme un exercice muséal.
Le premier acte a le charme d’un roman d’Alexandre Dumas ou de Paul Féval. La grande histoire (l’Espagne occupée par les troupes napoléoniennes) et le mélodrame (une orpheline de noble naissance enlevée par des gitans qui va retrouver par hasard sa famille) servent de trame de fond à une chorégraphie mêlant des danses d’inspiration espagnole et des variations pour solistes qui font la part belle à la vitesse d’exécution et au travail virtuose du bas de jambes. Le premier tableau n’est pas sans rappeler le premier acte de Giselle avec une atmosphère plus légère. Inigo, le gitan ombrageux, est le pendant ibérique d’Hilarion, l’amoureux éconduit de Giselle. Il garde jalousement hors de portée des regards étrangers Paquita, sa captive au caractère néanmoins bien trempé. La rencontre fortuite des gitans avec la noble compagnie composée de la famille d’Hervilly et du gouverneur espagnol de la province (qui joue double jeu) va précipiter la révélation des origines de Paquita. C’est tout l’objet du deuxième tableau, exclusivement dévolu à la pantomime, où la tentative d’assassinat du beau Lucien d’Hervilly, amoureux de Paquita, par Inigo commandité par le gouverneur est déjouée par Paquita.
Au deuxième acte, le pittoresque des festivités villageoises imaginées par Joseph Mazilier cède la place à un divertissement somptueux dans le cadre de la demeure de la famille d’Hervilly pour fêter le mariage de Paquita et Lucien, divertissement qui culmine avec le fameux Grand Pas chorégraphié par Marius Petipa lorsqu’il a remonté le ballet en Russie. La production dirigée par Pierre Lacotte est une fête pour les yeux avec ses décors et ses costumes splendides, sans la moindre once de kitsch.
Pour la première, le couple Laura Hecquet – Karl Paquette incarnait Paquita et Lucien. Il étaient accompagnés de François Alu dans le rôle d’Inigo. L’atmosphère de la soirée était vraiment électrique avec un fan club de François Alu toujours aussi enthousiaste et des applaudissements à la « russe » pour accueillir l’entrée de la toute nouvelle étoile Laura Hecquet.
Ce n’était pas une prise de rôle puisqu’elle avait déjà remplacé Amandine Albisson lors de la tournée au Canada cet automne, et elle y a sans doute été suffisamment brillante pour accélérer son destin d’étoile. Pour ceux, qui, de par son physique longiligne et son visage grave, l’imaginait cantonnée à des rôles dramatiques, cette représentation a révélé une personnalité solaire, souriante, très à l’aise dans la comédie, réussissant même à damner le pion au pourtant survitaminé François Alu. C’est bien simple, on ne voit qu’elle dès qu’elle est sur scène: tour à tour, vive, enjouée, timide puis audacieuse, elle est extrêmement attachante. En plus, elle était dans un grand soir, et le regard admiratif de Karl Paquette tout du long en témoigne: elle ne semblait rien pouvoir rater. Karl Paquette, comme à son habitude, a aidé sa partenaire à se sublimer, la mettant parfaitement en confiance. Le pas de deux qui scelle leurs fiançailles est le moment de grâce de la saison en cours. Une soirée qui fait vibrer le spectateur et où on a envie de bravoter à tout va.
Dès le lendemain, j’étais de retour à l’Opéra pour une deuxième séance. Sébastien Bertaud (très en vu la veille dans le corps de ballet) compose un Inigo plus subtil, moins cartoonesque que celui de François Alu, mais il faut avouer que sa variation n’est pas exécutée avec la même vista. Hannah O’Neill est une très jolie Paquita, plus charmeuse que celle de Laura Hecquet, mais il lui manque encore la présence scénique (notamment dans le 2ème tableau) de la nouvelle étoile et la petite étincelle qui emballait la première. Le rôle de Lucien d’Hervilly va comme un gant à Mathias Heymann: j’ai toujours en mémoire cet extrait du documentaire “la Danse” où il répète une des variations du ballet devant Pierre Lacotte et Ghislaine Thesmar qui s’extasient devant sa musicalité. Dans le pas de trois du premier acte, on retrouvait Pauline Verdusen avec Séverine Westermann et Daniel Stokes. Si Daniel Stokes a été moins fébrile que Germain Louvet le samedi sur sa première variation, il s’est un peu emmêlé sur le final.
Au deuxième acte, la température est montée d’un cran. Mathias Heymann a ébloui avec des solos à la fois explosifs et en souplesse: on est surpris des réceptions quasiment silencieuses. Il arrive en tête à l’applaudimètre mais Hannah O’Neill s’est très bien défendue, ne montrant aucun signe de faiblesse ou de fatigue: sa diagonale de grands jetés dans le Grand Pas est magnifique, tout comme les fouettés. Il y a peut-être juste un peu moins de recherche et de raffinement dans les attitudes que chez Laura Hecquet, et le partenariat est un peu plus guindée. A noter également, le superbe duo Germain Louvet – Marc Moreau parfaitement synchronisé dans les variations des deux officiers.
Pour cette matinée, ce ne sont pas les personnages et l’histoire qu’ils racontaient qui m’ont embarquée, mais les prouesses techniques de Mathias Heymann (hors catégorie) et le Grand Pas de Deux où Hannah O’Neill était pleine de cran.
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