L’automne parisien invite le spectateur à un voyage spatio-temporel à travers la planète danse.
Dans le cadre d’un de ses week-ends thématiques consacrés au Japon, la Philharmonie de Paris nous faisait revenir le 15 octobre aux sources de la danse traditionnelle nippone, le buyõ, né sur la scène du théâtre kabuki au XVIIème siècle. Les trois pièces présentées par la Japanese Classical Dance Association (la Jeune Fille-Glycine, la Bataille de Yashima, le Lion et le Lionceau) donnent un aperçu de ce genre très codifié, mélange de danse et de pantomime «poétique » minimimaliste interprété par un ou deux solistes dans un cadre intimiste, accompagné des musiciens / chanteurs sur scène. Les seuls éléments spectaculaires sont les magnifiques kimonos et le maquillage de scène des danseurs. Dans la Jeune Fille-Glycine et la Bataille de Yashima, l’accompagnement chanté est la voix-off de l’histoire (parabole, conte ou fresque héroïque) que mime la danseuse, mais cette pantomime n’est pas l’expression de son vécu et de ses sentiments, comme nous en avons l’habitude dans notre tradition occidentale, mais l’évocation poétique par une gestuelle extrêmement épurée des paysages et de l’action générale. Le mouvement, essentiellement ancré au sol, se fait dans un tout petit périmètre, ce qui renforce le caractère intimiste de la représentation, l’impression d’assister à un récit au coin du feu. La Bataille de Yashima avec sa thématique plus héroïque introduit des frappes de pied et des sauts pirouettes sur place. Le Lion et le Lionceau, pièce de 40 minutes, laisse la vedette à un duo de danseurs masculins : son final marqué par l’affrontement des protagonistes à coup de frappes de pied et de secousses de leurs perruques/crinières impressionnantes au son martial des tambours est spectaculaire.
Le dépaysement est garanti et le tout a un petit côté anachronique mais ne nécessite pas forcément d’être un exégète de la « grande » culture japonaise pour être apprécié, comme en témoignent la qualité du silence dans la salle et l’accueil chaleureux réservé aux artistes, qui, pour la plupart, font partie de dynasties du théâtre kabuki.
Le week-end suivant, on se retrouve du côté d’un Israël résolument contemporain avec la venue au Théâtre National de Chaillot de la Batsheva Dance Company, la troupe de Mister Gaga, alias Ohad Naharin. La transition n’est pas si incongrue avec le Japon. Après tout, Ohad Naharin s’est fait connaître avec une pièce Haru No Umi (« la mer du printemps » en japonais) créée dans le studio de son professeur Kazuko Hirabayashi, chorégraphe japonaise, une des condisciples de Martha Graham, Martha Graham dont le style présente des réminiscences du théâtre kabuki. Il est également passé par la troupe de Maurice Béjart, grand admirateur du kabuki auquel il a dédié un de ses grands ballets, et son épouse Eri Nakamura qui, après sa carrière de danseuse, se consacre maintenant à la création des costumes de la Batsheva, est japonaise.
Après l’entrée de sa pièce signature Decadance au répertoire de l’Opéra de Paris, j’étais curieuse de voir une œuvre du chorégraphe dansée par sa propre troupe. Ce sera donc Décalé, une version allégée et tout public de Decadance, qui n’en garde à mon sens que le meilleur, compilée pour la troupe des espoirs de la Batsheva, le Young Ensemble. La petite salle Firmin Gémier du palais de Chaillot est l’écrin idéal pour être au plus près des jeunes danseurs : l’expérience est moins surprenante mais aussi plus forte qu’à Garnier. Dans les extraits de Three, les jeunes femmes notamment dynamitent la scène et expriment pleinement leur personnalité, là où les danseuses de l’Opéra semblaient interchangeables (de par une certaine uniformité physique et les réflexes conditionnés du corps de ballet, moins prégnants chez les hommes). C’est évidemment la section dévolue aux « Men/Women in Black » qui est la plus jubilatoire, que ce soit dans son volet « danse de salon » avec les spectateurs choisis dans le public, un petit chef d’œuvre de poésie toute simple, ou dans l’imparable « danse des chaises » au son du Echad mi yodea. Ce spectacle vitaminé redonne la pêche avant d’affronter les premiers frimas.
Le Young Ensemble de la Batscheva est à Chaillot jusqu’au 27 octobre avec une autre pièce maîtresse de Naharin, Sadeh 21.
De mon côté, je poursuivrai mon voyage chorégraphique avec le Ballet National de Chine et une version adaptée de Casse-Noisette à la Seine Musicale.
Mots Clés : Batsheva Dance Company,Decadance,Décalé,Japon,Kabuki,Ohad Naharin,Saison 2018 - 2019