Pour conclure la traditionnelle série annuelle de représentations dévolues à l’Ecole de Danse, Elisabeth Platel, sa directrice, a imaginé une soirée à la programmation un peu différente pour rendre hommage à Claude Bessy qui a fait entrer l’école dans l’ère moderne. Si le contenu de cette soirée avec finalement assez peu de danse, en comparaison du documentaire de 40 minutes consacré à Claude Bessy, m’a fait un temps regretter de ne pas avoir plutôt inclus une des soirées « normales » de l’Ecole de Danse dans mon abonnement, la conclusion de la soirée avec le formidable Concerto en Ré, chorégraphie emblématique de l’étoile pour ses élèves, et son apparition sur scène au rideau étaient des moments précieux dans la vie de l’institution.

La soirée s’ouvre sur une dizaine de minutes d’extraits de Suite en Blanc, œuvre maîtresse de Serge Lifar qui fut le mentor de Claude Bessy et la nomma étoile en 1956. C’est assez frustrant de ne voir que quelques minutes de ce superbe ballet abstrait, pierre angulaire du style néo-classique français, trop longtemps absent de la programmation de la maison et dont on retrouve régulièrement les variations lors du concours de promotion. Les jeunes danseurs y font preuve d’une belle maîtrise et, pour les « solistes », on les sent déjà prêts à intégrer une compagnie.

Les danseurs laissent ensuite la place à un écran blanc pour un documentaire signé Fabrice Herrault, Claude Bessy, Ligne d’une Vie. Le film date de 2011, mais a été mis à jour pour l’occasion. Fabrice Herrault est un ancien élève de l’Ecole de Danse, avec une carrière dans des compagnies telles que le Ballet de Hambourg ou les Ballets de Monte-Carlo, qui enseigne désormais la danse à New York. Passionné des vieux films de danse, outre ce documentaire sur Claude Bessy, il a également réalisé un film consacré à Noureev, la Passion Noureev. Passé la déception de se retrouver à une séance cinéma quand on s’attendait à une soirée de danse, on se laisse happé par cette rétrospective de la carrière de Claude Bessy que je ne connaissais pas : Claude Bessy, pour moi, c’était la dame blonde avec le chignon austère, qui n’avait pas l’air très commode et gérait d’une main de fer l’Ecole de Danse. On découvre une jeune femme à la personnalité de feu, très sensuelle, une sorte de Brigitte Bardot en danseuse étoile. Petit regret de ne pas voir d’archives d’elle dans de grands rôles classiques. Le choix du réalisateur se porte sur le volet plus contemporain de sa carrière : sa collaboration avec Serge Lifar (avec Phèdre pour le rôle-titre duquel elle dut se battre), la grande amitié avec Maurice Béjart (on voit une prestation incandescente de son Boléro), Daphnis et Chloé de George Skibine ou plus insolite une création de Gene Kelly, Pas de dieux. Si les dernières minutes consacrées à l’Ecole de Danse s’apparentent quelque peu à de la promotion institutionnelle, on y apprend comment la Directrice l’a faite entrer dans l’ère moderne : création du Spectacle annuel et des Démonstrations pour compenser la disparition des figurations dans les opéras (dont les metteurs en scène contemporains avaient coupé les parties dansées), mise en place d’un système d’internat pour aller chercher les talents partout, bataille pour avoir une « vraie » école avec son propre bâtiment. On notera le passage assez drôle où l’on voit la directrice gronder ses troupes avec bienveillance à l’occasion d’un spectacle avec un vocabulaire imagé bien à elle ou encore la séquence où elle évoque ses revendications et le dépit ressenti après la décision de Rolf Liebermann de nommer Carolyn Carlson, étoile, à l’issue d’une simple audition (à quoi bon former des danseurs d’élite avec des bouts de ficelle, s’il suffit de passer une petite audition pour devenir étoile ?).

Avant l’entracte, nous est proposé Yondering, une pièce très poétique de John Neumeier créée pour les jeunes danseurs de l’Ecole Nationale de Ballet du Canada en 1996, et entrée au répertoire de l’Ecole de l’Opéra en 1999. John Neumeier évoque dans cette pièce le passage à l’âge adulte au son de chansons du folklore américain, interprétées par le baryton Thomas Hampson, qui distillent une douce nostalgie. Sur les 8 séquences, seulement deux sont dansées ce soir, dont le pas de trois Beautiful Dreamer (Maëlys Chiorozas, Paul Mayeras et Micah Levine) dans lequel l’on retrouve les marqueurs du chorégraphe américain, et certaines similitudes avec ses œuvres pour les grands.

Clin d’œil à la complicité de Maurice Béjart avec Claude Bessy, M pour B a été initialement créé pour l’anniversaire du Roi Beaudouin (M pour B signifie Mozart ou Maurice pour Beaudouin) et revisité l’année suivante pour l’Ecole de Danse, B se transformant peut-être en Bessy pour l’occasion, comme semblent le suggérer les danseuses, affublées de perruques blondes leur donnant de faux airs de Claude Bessy. C’est une pièce à la fois classique et joliment irrévérencieuse qui donne le sourire.

Concerto en Ré, chorégraphié en 1977 sur la partition de Bach par Claude Bessy en personne, faisait déjà parti du tout premier Spectacle de l’Ecole de Danse et réunit toutes les classes sur scène. On ne peut être qu’attendri quand les plus petits arrivent sur scène. Le « mini » corps de ballet a déjà tout d’un grand: musicalité, synchronisation, souci du geste parfait. Le tableau final, presque « balanchinien » est magnifique avec l’ensemble des élèves qui forment une corolle autour de la plus petite des petits rats. Il est temps de fêter l’héroïne de la soirée, qui, à 90 ans, n’a rien perdu de son maintien, entourée des professeurs qu’elle a formés, d’Elisabeth Platel et de José Martinez.

Mots Clés : ,,,,
Share This