Les expériences immersives pour le spectateur sont devenues un exercice imposé de la programmation danse de l’Opéra. Tino Sehgal, Boris Charmatz, Alexander Ekman ou James Thierrée se sont ainsi essayés à l’exercice ces dernières saisons avec un succès mitigé. Avec l’entrée au répertoire d’une version made in Opéra de Paris de son Decadance, le chorégraphe contemporain israélien Ohad Naharin réussit le pari de faire dialoguer le public avec les artistes dans un vrai spectacle chorégraphique.

Decadance est un medley en évolution permanente de l’œuvre d’Ohad Naharin, dont la première version célébrait les 10 ans de création du chorégraphe à la tête de la Batsheva Dance Company, fondée en 1964 en Israël par Martha Graham et la baronne Batsheva de Rothschild. Les 80 minutes sans entracte utilisent des extraits de 9 œuvres sur une bande son mêlant électro, une petite dose de classique, musique traditionnelle arabe et juive ou encore standards pop-jazz. Cette compilation est structurée en 3 grandes parties, introduites par un Monsieur Loyal incarné par Aurélien Houette.

La première et la dernière parties peuvent se vivre comme des versions azimutées et viscérales du Glass Pieces de Jerome Robbins (que nous redécouvrirons en octobre), avec ses jeunes, aux looks colorés tout droit sortis d’un catalogue Benetton, en proie aux affres de la vie moderne. Rien de bien original dans le propos, mais la technique « Gaga » (le nom donné au langage chorégraphique d’Ohad Naharin) se laisse apprécier. Curieusement, les hommes semblent se l’être plus appropriée que les danseuses, dans une distribution d’une vingtaine de danseurs, 100% corps de ballet. C’est là qu’on s’aperçoit qu’il y a plus de personnalités, de diversité tant physique que stylistique, dans le corps de ballet masculin : on repère ainsi facilement Simon Le Borgne (un interprète incontournable du répertoire contemporain désormais), Takeru Coste, Jeremy-Loup Quer (surprenant et convaincant dans ce registre) et surtout Andrea Sarri (mon coup de cœur, qui fait mouche à chacune de ses apparitions). Côté danseuses, aucune ne se démarque vraiment et elles semblent relativement interchangeables dans le dispositif.

La partie centrale est la plus marquante. J’avoue ne pas avoir trop cherché de message politique ou sociologique (il y en a sans doute) derrière ces moments de danse captivants et extrêmement efficaces, que j’ai ressentis comme une métaphore du temps qui passe. Cela commence dans la légèreté avec un petit jeu avec le public qui permet de faire monter sur scène une spectatrice dont c’est l’anniversaire.

Dans la deuxième séquence, un ensemble de danseurs costumés comme des clônes de Michaël Jackson descendent dans la salle au son d’un remix électro de Somewhere over the Rainbow pour inviter des spectateurs à les rejoindre sur scène pour une séance de danse de salon improvisée pleine d’un charme suranné (au passage, la spectatrice qui a droit à Jérémy-Loup Quer rien que pour elle a bien de la chance et se taille un franc succès à l’applaudimètre). Enfin, le morceau de bravoure du spectacle : une trentaine de danseurs, toujours dans le même costume noir, plus évocateur de celui des juifs hassidiques cette fois (tout est question de contexte), évoluent autour de chaises disposées en demi-cercle, psalmodiant Echad mi yodea, le chant de la Pâque juive, dans un ensemble à la puissance et à la rythmique quasi-guerrière, et, puis, l’ensemble millimétré et obsessionnel se disloque progressivement à mesure qu’ils se débarassent de leurs vêtements qu’ils jettent au centre de la scène.

Si le principe qu’une compagnie de danse classique inaugure sa saison sans ses étoiles et avec une œuvre résolument contemporaine est parfois un peu compliqué à comprendre, Decadance n’en demeure pas moins un spectacle électrisant, jamais ennuyant, à la hauteur duquel on aimerait voir toutes les récentes « créations » du Ballet de l’Opéra.

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