L’édition 2016 du Spectacle de l’École de Danse associe une pièce de « virtuosité académique » Conservatoire d’Auguste Bournonville à deux courts ballets narratifs néo -classiques, les Forains de Roland Petit et Piège de Lumière de l’américain John Taras. Dans un palais Garnier, un peu abonné cette saison aux fonds bleus et autres décors archi-dépouillés, ces petits ballets qui instaurent une atmosphère sur scène font tellement plaisir à voir que je n’ai pas hésité à voir les deux distributions.
Conservatoire n’est pas une pièce totalement abstraite. A l’origine la pièce était intégrée dans un ballet à argument créé à Copenhague en 1849, chronique romancée des années d’apprentissage du jeune Auguste Bournonville au Conservatoire, ancêtre de l’Ecole de Danse. Comme dans Études d’Harald Lander qui a d’ailleurs remanié le ballet, c’est l’histoire d’une classe de danse qui nous est racontée. Lorsque le rideau s’ouvre, on découvre un studio de danse qu’aurait pu croquer Degas qui inspire les costumes et la scénographie de Maurice Le Nestour. Cette pièce est l’occasion de mettre en valeur toutes les divisions de l’École de Danse. On observe avec fascination l’évolution de ce fameux travail du bas de jambe propre au style de Bournonville entre les plus jeunes et les déjà presque pros. On craque pour les petits danseurs qui font preuve de beaucoup de sang froid pour cet avant-goût de la vie d’artiste et on repère le joli style de Lien Geslin-Vinck qui incarne le maître de de ballet dans la première distribution. L’émotion naît de la pureté du geste, de la perfection de l’exécution, de l’impression de faire un voyage aux sources du ballet romantique.
Avec Les Forains, on fait un bond dans le temps de près d’un siècle pour retrouver Roland Petit, autre élève de la maison, et sa théâtralité pour son premier opus de chorégraphe associé à Boris Kochno, une des figures de proue des Ballets Russes, et au décorateur Christian Bérard. Ce ballet est la démonstration éclatante qu’avec un décor très simple, quelques accessoires et des costumes chinés aux puces, on peut faire des miracles et créer une superbe scénographie. A travers ces scènes de la vie d’une troupe de saltimbanques, les jeunes danseurs ont l’occasion d’exprimer leur sensibilité avec des personnages qui ont chacun une petite histoire à raconter. La chorégraphie n’est pas particulièrement complexe, mais particulièrement efficace avec de très beaux tableaux : le pas de deux entre le clown et la petite fille rehaussée par un tabouret, la danse serpentine de Loïe Fuller, le prestidigitateur et les deux colombes, autant de moments qui distillent la magie du spectacle.
Avec Piège de Lumière, on voyage dans l’univers surréaliste imaginé par l’écrivain Philippe Hériat et mis en images par le peintre Félix Labis, une forêt mystérieuse où un groupe de bagnards survit en chassant les papillons à l’aide d’un piège de lumière et où un homme peut s’éprendre d’un insecte.
Ce ballet « écolo » avant l’heure mâtiné de fantastique a été chorégraphié en 1952 pour le Grand Ballet du Marquis de Cuevas par l’Américain John Taras. Il a failli rentrer au répertoire du Ballet de l’Opéra à la fin des années 60 lorsque l’Américain est à la tête de l’institution. Il faut finalement attendre 2010 pour qu’il soit donné sur la scène de Garnier par l’Ecole de Danse à l’instigation d’Elisabeth Platel, révélant le talent d’un élève nommé François Alu. Cette pièce n’est initialement pas destinée à des jeunes danseurs et propose des difficultés techniques de taille, avec une chorégraphie qui fait la part belle aux sauts et exige une grande vélocité d’exécution. Les pas de deux sont du pur jus néo-classique, avec des portés très esthétiques et parfois un peu improbables qui ont donné quelques frayeurs à la ballerine qui incarne la Reine des Morphides.
La première distribution est dominée par le charisme et la présence d’Andrea Sarri qui a de faux airs de Roberto Bolle: une entrée magistrale, un partenariat perfectible mais puissant et un solo final mené à 100 à l’heure, il s’est taillé un beau succès. Avec sa partenaire Célia Drouy qui s’était déjà fait remarquée lors du spectacle de l’an dernier, ils font déjà preuve de maturité et semblent prêts pour le grand bain, en espérant que le concours d’entrée leur sera favorable cette année. On les retrouve d’ailleurs tous deux en deuxième distribution des Forains où Andrea Sarri joue de son charme latin.
Dans la deuxième distribution, on sent le couple formé par Zino Merckx (lui a de belles qualités athlétiques) et Nine Seropian (elle est explosive et véloce) plus timide, un peu moins libéré dans sa danse : c’est le papillon, rival du bagnard, interprété par Gaétan Vermeulen qui éblouit par son ballon et ses lignes de prince. Une belle découverte que ce ballet visuellement splendide qu’on aimerait voir danser par les « grands ».
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