Moins ambitieux que le programme de l’an dernier, cette courte série de 3 spectacles sur un week-end de pont, donnée à l’amphithéâtre Bastille, réunissait cinq danseurs avec des velléités de chorégraphes, uniquement des hommes pour cette édition, dont 2 récidivistes.

Parmi les récidivistes, Maxime Thomas confirme son talent après la Langue des Oiseaux. On retrouve dans A Perte de Vue et Au-Delà, pas de deux entre le chorégraphe et une danseuse en fauteuil, Gladys Foggea, une forme explorée par Jérôme Bel en 2016 dans Tombe qui faisait danser le 2ème acte de Giselle à un danseur de l’opéra et à une athlète handisport. Si la note d’intention se réclame d’un hommage à l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, décédée récemment et figure de la gauche post-coloniale, le côté engagé de l’œuvre passe au second plan derrière l’émotion et la poésie que le chorégraphe réussit à insuffler sur la sublime Elégie de Gabriel Fauré.

Chorégraphe confirmé, Yvon Demol sait indéniablement construire une pièce et il a peut-être trop tendance à vouloir faire la démonstration de son savoir-faire, sans aller à l’essentiel. C’était déjà un peu le cas pour son Folamour l’an dernier. Par contre, ce nouvel opus, Minuit, m’a profondément mise mal à l’aise, ce qui est peut-être une forme de réussite artistique. Yvon Demol met en scène un cauchemar peuplé de sinistres succubes. 3 danseuses et 3 danseurs: on a parfois du mal à distinguer qui est qui, qui est homme, qui est femme, dans cette frénésie de mouvements véhiculant une imagerie particulièrement trash, qui dénote avec l’univers de l’Opéra. J’avoue que le regard de Seojun Yoon m’a donnée la chair de poule et que je n’avais qu’une envie, que ce cauchemar éveillé s’arrête.
Autre passage un peu déroutant de cette soirée, le court solo 0’00 qu’Axel Ibot confie à Enzo Saugar (en alternance avec Letizia Galloni), variation sur la mythique Mort du Cygne de Michel Fokine, scénographié dans l’esprit du Crazy Horse, avec le danseur quasiment nu, le corps couvert de peinture argentée, sur pointes.

Heureusement, les deux petits jeunes de la soirée étaient là pour ramener un peu de soleil et d’optimisme. Rubens Simon propose Il en Va de Nous, un voyage sur la carte du tendre, inspiré par Jerome Robbins. 3 couples du passé (Hortense Millet-Maurin et Micah Gabriel Levine, Apolline Anquetil et Corentin Dournes, Tosca Auba et Manuel Giovani), représentant chacun un état amoureux, illustre le dialogue entre 2 amoureux d’aujourd’hui. Chaque séquence est accompagnée de la lecture de classiques de poésie (on reconnaîtra en particulier la voix de Claire Chazal) et d’une jolie composition d’Arthus Raveau. De la belle technique classique, des portés audacieux, des sauts, Rubens Simon ne ménage pas ses interprètes sur le plancher pas toujours sécurisant de l’amphithéâtre Bastille.

Manuel Garrido explore lui aussi cette veine néo-classique avec Jupiter sur le mouvement éponyme des Planètes de Gustav Holst. C’est vif, brillant dans la lignée d’un Justin Peck ou même du Ratmansky chorégraphiant Chostakovitch, et la technique des 4 danseurs (Clara Mousseigne, Elisabeth Partington, Rémi Singer-Gassner et Manuel Garrido) est mise en valeur. On découvre notamment de plus près Rémi Singer-Gassner que l’on n’a pas tant eu l’opportunité de remarquer sur scène depuis sa sortie de l’école.
C’est en tout cas une belle promesse de l’attachement au ballet classique de voir que, cette année, les pointes étaient à l’honneur. Reste à savoir si ce sympathique laboratoire peut déboucher sur l’opportunité de créer une pièce d’envergure pour la compagnie. Mon sentiment est que ce ne sera sans doute pas le cas, même si la plupart des artistes invités proposent un matériel chorégraphique moins riche pour les danseurs.
Mots Clés : Axel Ibot,Enzo Saugar,Manuel Garrido,Maxime Thomas,Pierre-Arthur Raveau,Rubens Simon,Yvon Demol