La saison 2016 – 2017 tire en longueur et, depuis le Lac des Cygnes hivernal, il a été difficile de s’enthousiasmer pour cette succession de soirées mixtes oscillant entre répétition et ennui. Seul le Songe d’une Nuit d’Eté et l’expérience scénographique de Wayne McGregor, Tree of Codes, ont partiellement réussi à susciter un vrai plaisir de spectateur chez moi.
La courte série consacrée aux danseurs – chorégraphes de la compagnie sonnait donc comme la promesse de nouveauté et de fraîcheur sur la scène de l’Opéra Garnier. On est bien loin de la modeste soirée Danseurs Chorégraphes hébergée à l’Amphithéâtre Bastille au printemps 2013. Benjamin Millepied avait souhaité donner aux représentants de son éphémère Académie Chorégraphique, cornaqués par William Forsythe, des conditions et des moyens proches de ceux des chorégraphes de renom invités par la compagnie. 30 minutes de scène, de vrais décors, des lumières magnifiques signées par Madjid Hakimi et des étoiles, c’est une superbe opportunité pour les quatre chorégraphes retenus : deux « amateurs », Sébastien Bertaud et Simon Valastro, et deux artistes plus expérimentés, Bruno Bouché, directeur artistique d’Incidence Chorégraphique pour laquelle il a beaucoup chorégraphié, et Nicolas Paul, qui a déjà eu l’honneur d’une programmation dans une soirée mixte, associé à Paul Rigal, Benjamin Millepied et Edouard Lock. On peut regretter l’absence dans cette sélection de Samuel Murez, le fondateur trublion de 3ème étage, qui fait des miracles sur les petites scènes des théâtres de banlieue, mais qui n’est sans doute pas assez intellectuel pour la programmation de Benjamin Millepied.
Sébastien Bertaud ouvrait le bal avec Renaissance, la pièce la plus médiatisée du programme avec la collaboration aux costumes du couturier adulé des starlettes, Olivier Rousteing pour la maison Balmain. La distribution atteint des sommets sur l’échelle de la plastique et du glamour : Dorothée Gilbert, Amandine Albisson, Hannah O’Neill, Hugo Marchand et Audric Bezard. Mais Pablo Legasa, qui remplace Mathias Heymann initialement prévu dans cette distribution de haut vol, éclipse tout le monde sur scène dans cet exercice de style sur le Concerto pour Violon n°2 de Mendelssohn, sous influence balanchinienne mâtinée de John Neumeier pour les portés et de William Forsythe pour le final. Agréable à l’œil, sans être inoubliable, avec un chorégraphe manifestement plus à l’aise pour exploiter la technique masculine que pour régler des pas de deux ou mettre en valeur ses interprètes féminines.
Dans la lignée de sa première création, la Stratégie de l’Hippocampe sur une cellule familiale dysfonctionnelle à l’aube du XXème siècle, Simon Valastro revendique quant à lui une inspiration plus théâtrale avec une pièce basée sur la Petite Marchande d’Allumettes d’Andersen utilisant la composition de David Lang pour percussions et quatre voix, The Little Match Girl Passion. C’est une œuvre dure et éprouvante qui m’a fait beaucoup pensé à Fall River Legend d’Agnès de Mille pour l’atmosphère, portée par Eleonora Abbagnato, complètement habitée par son rôle, avec une scénographie forte qui associe chanteurs et danseurs. J’avoue avoir trouvé cela très long, angoissant par moment, à la limite du supportable sur le plan émotionnel, mais, quelques jours après, les images restent …
Bruno Bouché est pour le coup beaucoup moins subtil avec son Undoing World et son message « Nous sommes tous des migrants ». On retiendra des tableaux d’ensemble parfaits pour faire de jolis photos (c’est normal Agathe Poupeney, photographe de scène pour l’Opéra, est à la scénographie), Marion Barbeau que les chorégraphes adorent mettre en scène dans des univers apocalyptiques (souvenez-vous du Casse-Noisette version Tcherniakov) et Aurélien Houette, alter ego du chorégraphe, invité pour l’occasion à chanter.
On peut reprocher à Nicolas Paul d’être trop intellectuel avec des partis pris de scénographie radicaux et des choix musicaux hyper pointus (Quatre Figures dans une Pièce, Répliques) : il est plus cérébral qu’émotionnel, mais la rigueur dans la construction et l’exécution a aussi un charme et son Sept Mètres et Demi au-dessus de Montagnes (référence au thème du Déluge), rythmé par les psaumes mis en musique du compositeur de la Renaissance, Josquin Desprez, nous plonge progressivement dans un état de plénitude spirituelle. 6 danseuses et 7 danseurs vêtus comme Monsieur et Madame Tout le Monde (tendance bobo hipster) émergent de la fosse d’orchestre pour gagner le fond de la scène où sont projetés leurs images peu à peu submergées par l’eau, pour une sorte de défilé du ballet à rebours, dans un continuum de 30 minutes, ponctué de solos, duos, … La distribution est très belle avec de fortes personnalités du ballet chez les femmes, qui brillent en contemporain mais aussi en classique, et un grand numéro de Stéphane Bullion, qui, une fois n’est pas coutume, n’est pas que le faire-valoir parfait d’une ballerine mais le patron du plateau et se livre comme jamais depuis deux ans. Bravo à Nicolas Paul pour le travail avec ses interprètes qu’il révèle bien plus que n’ont pu le faire certains chorégraphes de passage et surtout pour son style original qui ne surfe pas sur les modes.
Mots Clés : Amandine Albisson,Audric Bezard,Aurélien Houette,Bruno Bouché,Dorothée Gilbert,Eleonora Abbagnato,Hannah O'Neill,Hugo Marchand,Marion Barbeau,Nicolas Paul,Pablo Legasa,Sébastien Bertaud,Simon Valastro,Stéphane Bullion