Déjà 9 ans que Paquita n’avait pas été donné à Paris. Ce ballet romanesque et virtuose a été recréé en 2001 par Pierre Lacotte, sur un schéma similaire au travail accompli pour la Sylphide, et a permis de ressusciter une œuvre emblématique de l’école de danse française, initialement chorégraphié à l’Opéra rue Le Peletier à la mi-temps du XIXème siècle par Joseph Mazilier. Le ballet a ensuite été importé à la cour impériale russe par Marius Petipa qui avait vu son frère aîné Lucien danser le rôle masculin principal : Marius Petipa avait enrichi la chorégraphie d’un divertissement final majestueux, le Grand Pas, qui est passé à la postérité contrairement à la partie plus narrative de l’œuvre que Pierre Lacotte s’est attaché à reconstituer à partir de ses souvenirs de transmission directe par des danseuses qui ont dansé l’œuvre en Russie au début du XXème siècle et également des archives retrouvées en Allemagne datant de la création par Joseph Mazilier.

Cette reprise est l’occasion pour l’Opéra de réaliser son premier véritable hommage à Pierre Lacotte, disparu au printemps 2023, un maître à danser  si important dans l’histoire de la maison et qui a accompagné de son regard à la fois bienveillant et exigeant la carrière de bien des étoiles passées et actuelles. Pour l’occasion, la production a été adaptée pour passer de la scène intime de Garnier qui lui offrait un merveilleux écrin au plateau immense et plus impersonnel de Bastille.

On peut discuter de la pertinence de Paquita comme ballet de Noël, mais, finalement, son intrigue entre mélodrame et cape et épée dans un cadre hispanisant alliée à la fascination exercée par le Grand Pas virtuose a un pouvoir euphorisant en ces temps pas toujours gais. Le thème est très simple. Paquita est une jeune aristocrate qui a été enlevée par des gitans et gardée au secret. La seule chose qu’elle ait conservée de son passé est un médaillon avec une miniature de son père. Par hasard, lors d’une cérémonie commémorative sur les lieux où a été tué son père, elle croise le chemin de Lucien d’Hervilly : c’est le coup de foudre. Après un certain nombre de péripéties dans la veine d’Alexandre Dumas ou de Paul Féval, ils s’échappent des griffes du méchant Inigo, le chef des gitans et ravisseur amoureux de Paquita, et Lucien va lui prouver son amour au point de l’amener à une réception qui se tient dans le château de ses parents. Dans ce château, elle tombe sur un portrait identique à celui du médaillon, ce qui prouve qu’elle est aristocrate et lui permet d’épouser Lucien.

La réussite de Paquita tient également dans la capacité du couple principal à s’approprier la pantomime, essentielle dans la première partie du ballet, et à lui faire passer la rampe, surtout à Bastille, pour créer une alchimie autre que technique, entre eux, avec le corps de ballet et aussi avec le public. Les deux distributions vues en décembre illustrent cette théorie.

Représentation du 12 décembre: Valentine Colasante et Guillaume Diop

Beaucoup de places libres ce soir dans les premiers rangs du parterre. C’est très étonnant pour un ballet classique, surtout à cette période de l’année. Est-ce lié à la grève du corps de ballet qui a retardé le début de la série? Ou aux tarifs devenus délirants?

Pour ma part, j’ai été un peu déçue par cette représentation. J’avais en mémoire mon coup de cœur pour Laura Hecquet et Karl Paquette, lors de la dernière reprise. Durant le premier tableau, l’ambiance était très froide dans la salle. La production adaptée à Bastille est majestueuse, les costumes sont de toute beauté et la troupe ne démérite pas, mais la joie de danser ne semble pas totalement présente. L’exécution est appliquée, un rien scolaire. Le charisme et l’abattage de Valentine Colasante ne parviennent pas à compenser la personnalité effacée de son Lucien d’Hervilly, Guillaume Diop que sa haute stature semble gêner sur la chorégraphie tricotée de Pierre Lacotte. Si l’on était à la place de Paquita, on craquerait plus volontiers pour le méchant Inigo, Pablo  Legasa, très à son avantage dans ce registre. Cette première partie est dominée par le pas de trois exceptionnel d’Ines McIntoshMarine Ganio et, surtout, Francesco Mura qui m’a enchanté. Cela valait la peine d’être dans la salle rien que pour ce moment.

Photo Opéra de Paris – Marie-Helena Buckley

Le deuxième tableau bénéficie de la belle complicité de Valentine Colasante et Pablo LegasaGuillaume Diop est encore timide dans la pantomime, mais cela reste lisible et l’on se prend à sourire.

Le Grand Pas du deuxième acte est beaucoup plus adapté aux qualités de Guillaume Diop. Il y démontre sa sûreté en tant que partenaire, avec des portés de toute beauté, bien tenus, magnifiant Valentine Colasante. Ses variations qui font la part belle aux grands sauts et à l’explosivité sont très spectaculaires et réjouissent le public, même si le travail des pieds peut manquer de précision. Valentine Colasante est souveraine: quelle série de fouettés magnifique! Et le corps de ballet féminin nous ravit (on remarque à nouveau Marine Ganio, ainsi qu’Eléonore Guérineau). La mazurka des enfants remporte également un beau succès à l’applaudimètre.

On finit sur une note haute avec un morceau d’anthologie de la danse classique, mais l’on reste un peu sur sa faim, la faute à l’alchimie toute relative du couple principal. Guillaume Diop n’y peut pas grand-chose, mais il a une allure extrêmement juvénile qui ne le rend pas crédible dans tous les rôles face à des danseuses plus âgées. Ce serait sans doute plus judicieux de le distribuer avec une Bleuenn Battistoni.

Rêve d’Enfants (15 décembre): Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer

Il était très facile de trouver des places au débotté pour cette matinée Rêve d’Enfants. Et comme souvent, avec cette matinée, on a eu le droit à une belle représentation. Jeudi soir, des parties étaient bien voire excellentes mais le tout était décevant. Cet après-midi, on avait l’impression d’être devant une oeuvre de danse complète avec une histoire, des personnages qui évoluent et interagissent avec le corps de ballet et pas devant une mise bout à bout de morceaux de bravoure, avec des tunnels de pantomime. Le mérite en revient essentiellement à l’alchimie du couple Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer.

Photo Opéra de Paris – Marie-Helena Buckley

Oui, il y a le moyen de faire exister Lucien d’Hervilly et de personnifier cet archétype de l’élégance à la française. Héloïse Bourdon est fidèle à ce que l’on peut attendre d’elle dans ce répertoire: quand on voit son aura sur scène, la sérénité, l’autorité qu’elle dégage et sa capacité à être juste (qu’elle soit paysanne ou princesse), on ne peut que se demander: pourquoi n’est-elle pas étoile? Si le répertoire de l’Opéra était 100% classique (ce qui n’est pas le cas), cela apparaîtrait même comme une injustice assez flagrante. Je trouve également que, depuis le retour de José Martinez qui l’a remise plus dans la lumière, on se rend compte combien elle a évolué sur le plan artistique, tout en maintenant sa technique.

Dans le premier acte, Jérémy-Loup Quer offre une danse précise, très respectueux du style de Pierre Lacotte. C’est un homme du monde, qui a déjà fait son chemin dans l’armée, pas un jouvenceau tout juste tombé du nid. Le contraste avec l’Inigo voyou et brute de décoffrage de Jack Gasztwott fonctionne bien. Le Pas de Deux du Rocher qui clôt le premier tableau de l’acte I dégage un romantisme qui manquait cruellement jeudi dernier. Dans le pas de trois, après Francesco Mura, c’est un autre Italien, Lorenzo Lelli, coryphée, qui fait belle impression dans cette chorégraphie qui est un petit bijou. Il n’a pas encore le legato et le ballon de son aîné, mais c’est une performance prometteuse qui pourrait ouvrir la porte à une promotion. La salle suit avec intérêt les péripéties (très cape et épée) du deuxième tableau, qui suscitent même quelques rires.

Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer montent encore d’un cran dans le Pas de Deux du Mariage avant le Grand Pas. La salle ne fait qu’un avec les danseurs, elle est suspendue à leurs pas. C’est peut-être le moment de danse que je garderai en tête pour 2024. La mazurka des enfants est plus en place (on imagine que les professeurs ont corrigé leurs jeunes élèves) et c’est vraiment un enchantement qui doit faire réjouir le cœur de Pierre Lacotte là où il est. Le Grand Pas tient toutes ses promesses, comme une apothéose, avec une Héloïse Bourdon rayonnante et un Jérémy-Loup Quer qui, on le sent, puise dans ses réserves, mais donne tout pour sa partenaire avec une série de portés grandioses. Cela m’a en tout cas donné envie de reprendre une place pour voir Ines McIntosh et Francesco Mura le 2 janvier.

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