Roland Petit se fait rare sur la scène de l’Opéra. Il faut remonter à la saison 2020-2021 pour trouver trace d’une soirée hommage, pour commémorer les 10 ans de sa disparition, ainsi que d’une nouvelle production de Notre Dame de Paris dont les représentations seront toutes annulées pour cause de COVID. C’est justement cette production rafraîchie, 60 ans après la création du ballet, qui occupera la scène de l’Opéra Bastille pour les fêtes de fin d’année. Un choix curieux car ce n’est pas forcément une œuvre tout public, mais l’on peut concevoir que l’Opéra essaie de surfer sur  la frénésie qui entoure la cathédrale de Paris depuis sa réouverture au public.

10 ans après la dernière reprise de Notre Dame de Paris, ce sera l’occasion de découvrir une toute nouvelle génération de danseurs dans une pièce qui proposent 4 rôles d’envergure : Esmeralda, Frollo, l’archidiacre névrosé, le bellâtre Phoebus et surtout le difforme Quasimodo, rôle de composition majeure du répertoire masculin. Dans les distributions concoctées par José Luis Martinez, seule Amandine Albisson a déjà abordé le ballet, associée à un surprenant Quasimodo, Hugo Marchand, seule étoile masculine titulaire sur cette série. Que des prises de rôle donc pour la matinée du 7 décembre à laquelle j’ai assisté. L’étoile Roxane Stojanov danse Esmeralda qui lui a porté chance, car elle lui doit sa promotion de première danseuse en 2021. Elle est accompagnée de Jérémy-Loup Quer en Quasimodo, Thomas Docquir en Frollo et Antonio Conforti dans le rôle de Phoebus.

En 2014, lorsque j’avais découvert l’œuvre, j’avais eu une impression mitigée. J’avais peu apprécié la première avec Eleonora Abbagnato et Nicolas Le Riche, pourtant de grands interprètes de Roland Petit: le ballet m’était apparu poussiéreux, très daté des années 60, avec une lourde scénographie qui coupait le rythme. Et quelques jours plus tard, Alice Renavand et Stéphane Bullion m’avaient totalement emportée dans l’histoire, et ils réussissaient presque à faire oublier les ensembles poussifs et peu inspirés. En redécouvrant l’œuvre, je suis quelque part entre ces 2 représentations.

Yves Saint Laurent - Costumes

Il y a le plaisir de voir un ballet épique, comme il y en assez peu dans le répertoire finalement: face à ce grand spectacle, je pense à Iouri Grigorovitch et à sa Légende d’Amour ou à son Spartacus, 2 œuvres quasi-contemporaines de Notre Dame. La partition de Maurice Jarre et les décors impressionnants de René Allio renforcent la construction cinématographique d’un ballet souhaité comme une communion des arts par Roland Petit. Sans oublier les costumes imaginés par Yves Saint-Laurent qui, en 1965, avait son premier grand défilé et lançait la fameuse robe Mondrian, dont on retrouve le principe dans le costume de Phoebus. Le coup de frais donné la production est le bienvenu et, en ce début de série, on apprécie la fluidité des nombreux changements de décors.  La modernité graphique de la scénographie n’empêche pas une grande lisibilité de la narration épurée et resserrée autour des 4 personnages principaux et de quelques tableaux marquants du chef d’œuvre de Victor Hugo.

Parmi les Esmeralda de cette série, Roxane Stojanov me semble être celle dont la personnalité correspond le mieux à la gitane. J’ai néanmoins l’impression qu’elle n’exprime pas encore totalement son tempérament, un petit peu comme si elle avait peur de trop en faire. Jérémy-Loup Quer, en Quasimodo, c’est une bonne idée sur le papier: c’est souvent dans ces rôles de caractère qu’il donne le meilleur de lui-même. Son entrée est très réussie, mais je trouve qu’il ne tient pas l’émotion sur la longueur du ballet, notamment dans la première partie du deuxième acte. Les deux danseurs trouveront sans doute une meilleure alchimie dans leurs prochaines représentations, notamment dans la gestion de leur danse dans les éléments de décors périlleux (je pense à la scène de la Cour des Miracles avec ces trous dans le plateau et ces escaliers).

La danse de Thomas Docquir est très belle et engagée, mais il manque à son Frollo la noirceur de celui d’Audric Bezard. La grande satisfaction de cette représentation vient pour moi d’Antonio Conforti et c’est d’autant plus remarquable que le(s) costume(s) (qui reflètent plus les fantasmes d’YSL qu’autre chose) et les cheveux blond peroxydés souhaités pour le rôle de Phoebus ne sont pas faciles à assumer. Le danseur semble avoir pris pas mal de muscle, mais il a conservé cette aura artistique assez unique. Le partenariat avec Roxane Stojanov fonctionne admirablement, beaucoup de sensualité dans leurs pas de deux, et la tension dramatique monte d’un cran lors du trio avec Frollo.

Les ensembles sont décidément assez hideux, à part celui de la Cour des Miracles qui a une certaine puissance visuelle, porté par les nappes des chœurs enregistrés de la partition de Maurice Jarre. Ce n’est pas meilleur, voire moins bien, que les acrobaties chorégraphiques de la célèbre comédie musicale homonyme. La conclusion du ballet est par ailleurs assez confuse et fait retomber le soufflé après le pas de deux lyrique entre Quasimodo et Esmeralda. Au final, Notre Dame de Paris est une œuvre assez atypique dans le monde du ballet narratif, rencontre entre une esthétique « pop » des années 60 et le drame romantique, qui n’a pas forcément bien vécu les outrages du temps. Contrairement à une œuvre plus classique du répertoire, on n’aura pas nécessairement envie d’en voir toutes les distributions même si  le Quasimodo de Francesco Mura semble prometteur. Peut-on envisager une nomination pour un danseur en pleine maturité artistique? Antonio Conforti aura aussi 2 représentations en Quasimodo, et cela devrait être fort intéressant.

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