Avec le triangle amoureux Baptiste-Garance-Nathalie incarnés par Stéphane Bullion, Amandine Albisson et Mélanie Hurel, les Enfants du Paradis gagne ses galons de “drama ballet”, là où une première vision m’avait laissé l’impression d’un spectacle centré sur l’évocation nostalgique d’un Paris théâtral oublié. Rien de tel qu’une place bien au centre pour apprécier l’utilisation de l’espace scénique par José Martinez et une paire de jumelles pour ne rien manquer de la pantomime et des expressions des danseurs, précaution indispensable pour entrer complètement dans l’histoire.
La première année d’étoile d’Amandine Albisson n’a pas été une chemin parsemé de roses, entre critiques sur son ascension rapide, des rôles techniques assumés brillamment mais où son sens du partenariat et du jeu ont été mis en doute et enfin un blessure qui l’a éloignée de la scène une partie de la saison en cours, permettant au passage la révélation d’autres danseuses. Pour une jeune femme de vingt-six ans, gracieuse et aérienne, il serait ridicule de vouloir copier la gouaille d’Arletty qui avait quarante-six ans lorsqu’elle a interprété Garance. Amandine Albisson aborde donc ce rôle avec ses propres arguments. Avec sa jeunesse et une féminité rayonnante, elle compose une “pretty woman” parigote, tantôt femme de tête, tantôt coeur d’artichaut, espiègle et impulsive, bien décidé à mener sa vie comme elle l’entend, bref une vraie comédienne. On comprend qu’elle puisse déclencher les coups de coeur en série sur le Boulevard du Crime.
Stéphane Bullion incarne quant à lui avec Baptiste, un des personnages complexes auxquels il sait si bien donner une âme par la grâce d’un simple regard. Dans le Pierrot triste un peu rêveur qui contemple ses contemporains de ses grands yeux mélancoliques, perché sur un scène de fortune, il y a un peu de Baptiste, l’homme privé, celui qui aime en silence Garance ou qui se marie à Nathalie dans une imitation de leurs rôles sous les feux de la rampe. Stéphane Bullion nous dévoile aussi la personnalité de l’homme derrière l’artiste, un jeune homme bien réel qui fréquente les cabarets avec Frédérick Lemaître, tente d’amadouer sa logeuse, capable d’audaces pour séduire Garance mais aussi de petites lâchetés et de trahison avec Nathalie.
Les nostalgiques du partenariat de Stéphane Bullion avec Agnès Letestu ont sans doute apprécié les pas de deux où Amandine Albisson, dont la silhouette et l’allure ne sont pas sans évoquer celles de la reine Agnès, apparaît totalement en confiance sur les portés.
Mélanie Hurel, toujours subtile dans ses interprétations, est une Nathalie vivante et attachante. La rivalité amoureuse avec Garance est renforcée par les différences physiques et dans la danse des deux danseuses: Amandine Albisson est la ballerine néo-classique, tandis que Mélanie Hurel est plus une ballerine romantique. J’ai aimé la tendre poésie qui se dégageaient des pas de deux de Nathalie avec Baptiste.
Josua Hoffalt est un Frédérick Lemaître plus discret que Karl Paquette dans le développement de l’intrigue,mais il est brillant en Othello sensuel à l’entracte, avec des portés périlleux pour Desdémone (Marion Barbeau) sur le marbre des escaliers de Garnier, tout comme dans le ballet dans le ballet virtuose où il accompagne Valentine Colasante pétillante et musicale.
A ce casting de choix, il faut ajouter les danseurs qui incarnent la galerie de personnages hauts en couleur qui animent ces Enfants du Paradis: Caroline Bance (hilarante logeuse), Aurélien Houette (Lacenaire plus effrayant que Vincent Chaillet), Yann Saïz (le comte, toujours impeccable dans les pas de deux) et deux piliers du corps de ballet qui faisaient leurs adieux, Christine Peltzer et Vincent Cordier.
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