Au fil des saisons, il y a un vrai plaisir à retrouver les danseurs du Bolchoï dans le cinéma à côté de chez soi pour découvrir le riche répertoire de la troupe qui nous emmène tantôt du côté du ballet romantique, tantôt du côté du ballet soviétique et parfois vers le répertoire « contemporain » ou des créations plus récentes. Le succès est bien au rendez-vous et il n’y a plus besoin de mettre systématiquement Svetlana Zakharova en tête d’affiche pour pérenniser l’entreprise. La preuve en est encore faite avec une salle du multiplexe Pathé de Levallois-Perret très correctement remplie pour le Corsaire, ballet romantique de plus de 3h30 avec les entractes, a priori plus destiné à séduire les balletomanes invétérés que le grand public.
Le Corsaire, créé en 1856 par Joseph Mazilier sur un livret très lâchement inspiré d’un poème de Lord Byron et sur une partition d’Adolphe Adam, fait partie de ces œuvres oubliées du répertoire français qui ont vécu une nouvelle vie en Russie sur la scène des Théâtres Impériaux. Importé en 1858 par Jules Perrot à Saint-Petersbourg, le ballet va ensuite être remanié et recréé par Marius Petipa à quatre reprises durant sa carrière. Si l’œuvre a quitté pour des périodes plus ou moins longues les répertoires du Bolchoï et du Mariinsky, elle a marqué l’imaginaire collectif pour le pas de deux (ou de trois, selon les versions) qui figure dans tout gala digne de ce nom.
En 2017, Alexeï Ratmansky, alors directeur du Bolchoï, s’attaqua avec Yuri Burlaka à une reconstruction de la dernière version de Marius Petipa, offrant à ses danseurs un véhicule idéal pour leur technique superlative et leur engagement scénique. La recette s’avère parfaite, et on n’a aucun mal à être séduits, comme ont du l’être les spectateurs du dix-neuvième siècle par cette production opulente et foisonnante qui mélange aventure et exotisme, intrigues et amours contrariés dans un Orient fantasmé et goût du spectaculaire, sans oublier un soupçon d’humour.
L’intrigue, essentiellement concentrée dans le premier acte, est sans doute un peu confuse mais la diffusion au cinéma avec ses cartons explicatifs avant chaque tableau facilite grandement la tâche. On suit donc avec plaisir les tribulations de Conrad, le Corsaire, pour retrouver Medora, la jolie pupille de l’ignoble marchand d’esclaves, Lanquedem, convoitée également par le Pacha pour être la nouvelle favorite de son harem.
Dans le rôle de Medora, Ekaterina Krysanova trouve le juste dosage entre fougue, ingénuité et séduction pour camper une héroïne de cape et d’épée à la Michèle Mercier dans Angélique. Le couple qu’elle forme avec Igor Tsvirko fonctionne superbement et le deuxième tableau du premier acte, où les deux amoureux sont réunis dans la grotte qui sert de repère aux pirates, est un petit bijou tant sur le plan du jeu que de la technique ébouriffante dans le fameux pas de deux.
Leurs compagnons de jeu ne sont pas en reste. Gennadi Yanin dans le rôle de Lanquedem et Alexei Loparevich en pacha sont hilarants. Daria Khokhlova est une délicieuse Gulnare, l’amie de Medora qui va l’aider à s’échapper du harem du pacha : sa danse traduit son espièglerie. Ils contribuent à insuffler la vie et à embellir davantage, s’il était possible, ce magnifique livre d’images en technicolor, parsemé de morceaux de bravoure : le pas de deux d’esclaves avec le couple Anastasia Stashkevich – Vyacheslav Lopatin en état de grâce, les ensembles féériques du jardin animé ou le curieux Grand Pas des Eventails, grand pas du faux mariage de Medora avec le pacha où le sculptural Artemy Belyakov joue les chevaliers servants de Medora.
Toute la magie du Bolchoï est concentrée dans ce spectacle, avec cette faculté qui m’étonne à chaque fois de transmettre par écran interposé l’énergie du spectacle vivant à des milliers de kilomètres de Moscou.
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