Après 2 saisons blanches pour cause de grève à l’Opéra puis de COVID, la matinée Rêves d’Enfant, représentation de prestige permettant de financer l’accès des enfants défavorisés à l’Opéra, faisait son retour à l’Opéra Bastille à l’occasion du traditionnel ballet classique des fêtes de fin d’année. C’est le Don Quichotte de Noureev qui avait vocation à émerveiller les enfants en ce 12 décembre, emmené par 2 étoiles relativement neuves dans le firmament de l’Opéra, Valentine Colasante et Paul Marque.

Don Quichotte, c’est le ballet rayon de soleil par excellence. Si son argument se revendique d’un épisode du roman picaresque de Cervantes, il ne recèle aucune tension dramatique et sert juste de fil conducteur à quelques-uns de plus beaux morceaux bravoure du répertoire classique. On ressort forcément avec un grand sourire, en fredonnant la musique entraînante de Ludwig Minkus.

Après un prologue où Don Quichotte et Sancho Pança s’apprêtent à partir à l’aventure sur les routes d’Espagne, on se retrouve sur une place de Barcelone pour faire connaissance avec Kitri, la piquante fille de l’aubergiste Lorenzo, son soupirant, le barbier désargenté Basilio, et tous leurs amis. Ce premier acte va à 100 à l’heure avec une succession de morceaux de bravoure: 2 variations pour chacun des solistes, un pas de deux, les solos d’Espada, le toréador, et de la danseuse de rue ou encore la coda, entrecoupés par quelques respirations humoristiques apportés par Gamache, le ridicule prétendant favorisé par le père de Kitri, et l’arrivée de Don Quichotte et de son « écuyer ». Dans le deuxième acte, Kitri et Basilio s’enfuient et consomment leur amour à l’ombre des moulins à vent, où ils sont surpris par une troupe de gitans qui vont leur prêter leur concours pour berner Lorenzo et Gamache, qui se sont lancés à leur trousse. Don Quichotte et Sancho Pança sont également de la partie. Don Quichotte, jouant au preux chevalier voulant défendre les amoureux, fait plus de bien que de mal. Il se retrouve groggy et voit apparaître en songe la dame de ses pensées, Dulcinée (sous les traits de Kitri), qui vit au Royaume des Dryades : c’est le court acte blanc du ballet. Au troisième acte, on retrouve Kitri et Basilio dans une taverne enfumée avec leurs amis. A nouveau débusqués par Lorenzo et Gamache, un nième subterfuge de Basilio (il simule sa mort) lui permet de remporter la mise et de se marier avec Kitri, mariage qui constitue le dernier tableau avec son célèbre pas de deux.

Kitri, c’est le rôle qui a fait Valentine Colasante. Remplaçant Amandine Albisson blessée, elle avait été nommée étoile de façon impromptue sur l’avant-dernière date de la série donnée en 2017-2018. Et, lors de la reprise post COVID en octobre 2020, lors du gala Noureev, elle était tout simplement brillante dans le pas de deux du mariage, morceau de bravoure du troisième acte. Son côté terrien, sa personnalité solaire et sa danse alliant explosivité et technique la destine à briller dans ce registre, peut-être plus que dans Giselle ou le Lac des Cygnes, mais on a finalement eu très peu l’occasion de la voir danser ce grand répertoire depuis sa nomination. C’est la première fois que je la vois en tant qu’étoile dans un ballet de cette ampleur.

Paul Marque a quant à lui connu le baptême du feu sur la dernière série de Don Quichotte, avec son premier grand rôle dans une production de Noureev. Il aborde donc lui aussi pour la deuxième fois ce ballet, un an après sa nomination en tant qu’étoile devant une salle vide lors de la captation filmée de la Bayadère. En l’absence de Mathias Heymann sur cette série, c’est sans doute le Basilio à ne pas manquer : il allie l’élégance de Mathias Heymann à la puissance de François Alu et à la joie de danser de Karl Paquette.

J’ai vu et revu Don Quichotte lors des dernières séries, et, objectivement, le duo Valentine ColasantePaul Marque est le plus brillant qu’il m’ait été donné de voir. La complicité des deux étoiles est éclatante et ils font assaut de virtuosité, se permettant même de jouer avec l’orchestre. Ils se jouent des difficultés techniques avec une aisance désarmante. Si je devais mettre un petit bémol, ce serait sur le premier acte où l’on ne sentait pas assez l’impulsion du corps de ballet, respirant la joie de danser et soutenant ses solistes (comme cela pouvait être le cas lorsque Karl Paquette dansait Basilio). Néanmoins, les spectaculaires portés « à la russe » qui concluent le premier acte enflamment le plateau. Le pas de deux du mariage est un petit chef d’œuvre : les équilibres sont tenus plus que de raison, les fouettés sont magistraux pour elle et le manège final, renversant pour lui.

Hannah O’Neill et Florian Magnenet

A leur côté, les autres solistes assurent aussi. Cela fait un pincement au cœur de voir Arthus Raveau réduit à des rôles de caractère : Basilio attachant et romantique en 2014, Espada en 2017 et Don Quichotte en 2021 … La carrière d’un danseur ne tient finalement qu’à un fil. Florian Magnenet vit, quant à lui, une deuxième jeunesse en cette fin 2021, après ses performances dans le Rouge et le Noir : il reprend avec brio le rôle d’Espada aux côtés d’Hannah O’Neill en danseuse de rue, un partenariat idéal et plein de piquant. Plaisir également de retrouver Antonio Conforti en ombrageux chef des gitans, menant l’ensemble dans la danse folklorique gitane.

Héloïse Bourdon

Le tableau du Royaume des Dryades est sublime. Il y a un certain temps que je n’avais pas vu Héloïse Bourdon dans son élément naturel, l’acte blanc d’un ballet classique. Elle est une magnifique Reine des Dryades. Il y a un lyrisme qui émane de sa danse, qui m’émeut presqu’aux larmes. Le fait qu’elle ne soit pas étoile est pour moi un grand mystère. Le trio qu’elle forme avec Dulcinée-Kitri et le Cupidon de Sylvia Saint-Martin est royal.

On aimerait que Don Quichotte ait le pouvoir de dissiper les nuages du COVID et la déprime qui va avec. Hélas, ce n’est pas tout à fait le cas, comme nous le rappellent les petits danseurs masqués sur la scène, l’annulation d’une représentation ou le remplacement de l’orchestre par une bande son sur d’autres. C’est pourquoi, contrairement à d’autres années, je me contenterai de cette unique représentation.

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