Evènement annuel qui fait vibrer le landernau des balletomanes, le concours de promotion débutait cette année avec les hommes. Par ce premier vendredi de novembre, il n’y avait pas foule devant l’entrée de l’Opéra Garnier pour quémander un précieux sésame pour les deux journées. Ces messieurs suscitent visiblement moins la frénésie que ces dames qui ont en plus l’honneur du samedi. Cela se ressent également dans l’ambiance à l’intérieur de la salle, beaucoup moins électrique.
Stéphane Lissner préside le jury et a la main mise sur la petite lumière verte qui déclenche le passage du prochain candidat. Il est entouré d’Aurélie Dupont, très concentrée et beaucoup moins accro à son smartphone que Benjamin Millepied, et de Clotilde Vayer. Les personnalités invitées sont Ghislaine Thesmar et Ana Laguna, la muse et compagne de Mats Ek, ce qui garantit une sensibilité contemporaine dans le jugement. Côté danseurs, la petite innovation viendrait du fait que, cette année, les membres du jury ont été tirés au sort parmi les danseurs qui ne passent pas le concours : on retrouve ainsi les étoiles Amandine Albisson et Josua Hoffalt et les danseurs du corps de ballet, Charline Giezendanner, Aurélia Bellet et Alexandre Labrot. Un jury à dominante féminine donc pour décerner 4 postes seulement.
La tendance américaine des dernières années semble s’être calmée, seulement un Balanchine et 3 Robbins, au profit d’une assez grande diversité de choix dans les variations libres avec un timide retour de Roland Petit et de Maurice Béjart, 6 variations de Noureev et la Mazurka d’Etudes de Lander choisie trois fois. C’était donc une journée plutôt éclectique et variée pour le spectateur.
Classe des Quadrilles hommes
2 postes de coryphées sont à pourvoir. Sur une classe de 17 danseurs, seuls 11 se présentaient. Au rayon des absents de marque, on notait Takeru Coste, danseur au tempérament artistique très affirmé. On pouvait supposer qu’Antonio Conforti, très bien distribué et choisi par Justin Peck pour sa création Entre Chien et Loup, avait une sérieuse option pour l’une des deux places. Mais, dans cette classe, la notion de concours prend tout son sens et c’est bien la performance le jour J qui détermine la promotion, surtout avec très peu de postes.
La variation imposée est la 2ème variation de Basilio au 1er acte du Don Quichotte de Noureev, une variation très spectaculaire et pas forcément musicale où doit briller le caractère enjoué du personnage. Peu de danseurs ont réussi proprement la pirouette finale, alors qu’ils avaient pour la plupart géré les sauts et changements de direction incessants qui précédaient et qui semblaient bien plus périlleux pour le spectateur.
Ce n’est pas qu’Antonio Conforti ait démérité, mais son imposé et le libre sur le Manfred de Noureev n’étaient pas techniquement irréprochables sur les réceptions et on l’a senti déstabilisé. Il reste néanmoins une façon de prendre possession de la scène et d’incarner ses personnages qui ne laissent pas insensible. J’ai été émue par cette variation de Manfred. Passant juste après Antonio Conforti, Thomas Docquir a par contraste fait preuve d’une grande assurance, mais l’enjeu était sans doute moins tétanisant pour lui car il n’avait rien à perdre dans ce premier concours. Un Basilio solide et la Mazurka de Suite en Blanc de Lifar lui ont permis de montrer au jury une technique maîtrisée, de belles lignes et une certaine autorité sur scène : en tout cas son passage n’a pas laissé indifférent. Julien Guillemard, qui m’avait fait belle impression en Scaramouche à l’Ecole de Danse, a réalisé un concours intéressant et j’ai beaucoup apprécié son Hilarion dans Giselle, version de Mats Ek, un choix contemporain qui n’est pas forcément hyper stratégique si l’on veut monter dans cette classe mais qui peut être profitable pour être distribué. Un choix contemporain, avec le Rire de la Lyre de José Montalvo, qui a peut-être compromis les chances de Simon Le Borgne, l’un des plus musicaux sur le Noureev et qui a réussi sur son libre à faire oublier le cadre strict du concours. C’est l’un de mes coups de cœur de la journée. Francesco Mura clôture en beauté la classe, un Basilio dans le top 3 et surtout une variation du pas de deux d’Esmeralda de Marius Petipa assez étourdissante de virtuosité. Il est récompensé par la première place devant Thomas Docquir dans un classement qui valorise l’excellence dans la technique classique.
Le classement
- Francesco Mura promu
- Thomas Docquir promu
- Axel Magliano
- Chun-Wing Lam
- Simon Le Borgne
- Isaac Lopes-Gomes
Classe des Coryphées hommes
1 seul poste de sujet à pourvoir qui semblait promis à Paul Marque, récent médaillé d’or de Varna, avec un challenger très sérieux Pablo Legasa.
Je n’ai pas retenu grand-chose de la variation imposée, encore de Noureev, la 3ème variation du Prince dans l’acte II de la Belle au Bois Dormant, pas vraiment passionnante sortie du contexte du ballet. Paul Marque et Antoine Kirscher m’y ont semblé supérieurs à Pablo Legasa.
Même en l’absence d’Hugo Vigliotti blessé, ce sont les variations libres qui ont rendu cette classe très intéressante à suivre. Il y a les modernes : Mathieu Botto très sexy dans les Sept Danses Grecques de Maurice Béjart, un tube du concours, Yvon Demol qui se fait et nous fait plaisir avec la Télévision extrait d’Appartement de Mats Ek et Mickaël Lafon qui a pris un risque avec MC14/22 d’Angelin Prejlocaj, une chorégraphie un peu plombante. Et il y a les classiques : Mathieu Contat démarre sur les chapeaux de roue sa variation de Solor dans l’acte II de la Bayadère, Antoine Kirscher livre une Mazurka d’Etudes de Lander qu’on n’a pas forcément vu aussi belle lors de la dernière reprise, la variation d’entrée de Basilio de Pablo Legasa convoque le souvenir d’Emmanuel Thibault et son ballon merveilleux et Paul Marque est tout simplement parfait de précision, d’élégance et de musicalité en Marco Spada de Pierre Lacotte.
Le classement apparaît parfaitement logique, avec le cruel dilemme de choisir entre Paul Marque et Pablo Legasa (mon choix personnel), avec là encore l’excellence dans le classique mise en avant.
Le classement
- Paul Marque promu
- Pablo Legasa
- Antoine Kirscher
- Mathieu Contat
- Yvon Demol
- Mickaël Lafon
Classe des Sujets hommes
Comme pour la classe précédente, 1 seul poste de premier danseur à pourvoir et un grandissime favori, Germain Louvet. Déjà distribué comme un premier danseur, il a démontré sa fiabilité sur de grands ballets narratifs (Casse-Noisette, Roméo & Juliette avec une prise de rôle anticipée) et un partenariat entre le jeune danseur et Ludmila Pagliero est en train de voir le jour. Jérémy-Loup Quer et Fabien Révillion pouvaient nourrir quelques espoirs en cas de défaillance.
La variation imposée était là pour limiter le suspens de toute façon : la très longue rêverie sur le solo de violon du Prince Désiré au 2ème acte de la Belle au Bois Dormant, encore une pure « noureeverie », ne se donne pas à tout danseur car elle demande des lignes exceptionnelles, une endurance à toute épreuve, avec un manège de double assemblées en juge de paix dans les dernières minutes, et une âme de poète.
Germain Louvet a dominé le concours, sans le survoler non plus car les autres danseurs ont réussi des performances honorables. Il avait pour lui l’avantage non négligeable d’avoir le « coffre » physique pour tenir la longue variation de Noureev, grâce à son expérience sur Casse-Noisette et Roméo et Juliette. Je lui ai trouvé une assurance, une fluidité d’exécution et une légèreté dans les réceptions remarquables et qui donnent envie de découvrir son Siegfried cet hiver. Après ce morceau de bravoure, la Mazurka de Lander semblait presque une formalité et entérinait une promotion attendue. J’ai beaucoup aimé Jérémy-Loup Quer qui avait le redoutable privilège de démarrer : moins romantique que Germain Louvet, plus sombre, il évoque Mikhail Lobukhin, archétype du danseur russe viril. Son Don José était bien campé. C’est un premier danseur en puissance. Fabien Révillion a été excellent dans la Mazurka de Lander, mais en deçà de Germain Louvet, un peu moins léger dans ses réceptions sur le Noureev où on le sentait à bout de souffle et en force sur la deuxième moitié. Marc Moreau prend une deuxième place surprenante (je ne le voyais pas trop en Prince Désiré), mais pas imméritée car il y avait beaucoup de musicalité et de facilité dans sa danse tant dans l’imposé que dans le Danseur en Brun du Dances at a Gathering de Robbins, chorégraphe qui lui sied parfaitement. Sébastien Bertaud est classé 6ème, mais il est, quelque part, un peu hors concours. Son talent et son intelligence artistique le destinait à être soliste, comme il l’a encore prouvé cet après-midi tant dans son interprétation aboutie de Désiré que dans le Push Comes to Shove de Twyla Tharp. Allister Madin a lui aussi apporté sa petite touche personnelle avec un réjouissant Speaking in Tongues de Paul Taylor.
Le classement
- Germain Louvet promu
- Marc Moreau
- Jérémy-Loup Quer
- Fabien Révillion
- Yann Chailloux
- Sébastien Bertaud