A l’occasion du centenaire de Merce Cunningham, le Festival d’Automne à Paris consacre sa programmation à une rétrospective de l’œuvre du chorégraphe américain qui a posé les fondations de la danse contemporaine. Parmi les nombreux spectacles et manifestations proposés en grande région parisienne, le « triple bill » à l’affiche du Théâtre de Chaillot réunissant pour 6 représentations le Ballet de Flandres, le Royal Ballet et le Ballet de l’Opéra de Paris faisait figure d’incontournable. Incontournable pas que pour les piliers du Théâtre de la Ville, mais aussi pour les amateurs de classique désireux d’étendre leur culture chorégraphique.
Mon goût personnel me portera toujours plus vers les collections du Louvres ou du Musée Jacquemart-André, mais je ne suis pas hermétique à m’aventurer du côté du Centre Pompidou ou de la Fondation Louis Vuitton pour peu que l’accrochage et la muséographie me prennent par la main et suscitent ma curiosité au-delà d’une esthétique qui ne m’émeut pas. C’est un peu mon ressenti à l’issue de cette soirée autour de 3 ballets, offrant un parcours dans l’œuvre de Cunningham qui, judicieusement, fait découvrir les œuvres les plus accessibles, Pond Way par le Ballet de Flandres et Cross Currents par trois solistes du Royal Ballet, avant de nous emmener vers des terrains plus radicaux, Walkaround Time par l’Opéra de Paris. On saluera au passage la qualité du petit livret offert par le Festival d’Automne qui permet de mieux appréhender le style Cunningham.
Pond Way, pièce de 1998, a une esthétique qui reste tendance, entre Asie et Orient. Devant un fond de scène signé Roy Lichtenstein, inspiré par des paysages chinois, 13 danseurs et danseuses vêtus de fluides sarouels immaculés évoluent tous ensemble, en plus petits groupes ou en courts solos, de façon dissociée du fond sonore, une musique électronique « planante » de Brian Eno, dont les pistes sont diffusées aléatoirement. Ce ballet atmosphérique, évoquant le ricochet des cailloux sur la surface d’un étang, s’avère un peu long par moments. Néanmoins, cette variation moderne autour de l’acte blanc fascine par la rigueur de sa construction chorégraphique et la technicité exigée des danseurs avec l’alternance de séquences fluides (travail autour de l’arabesque) et plus dynamiques.
Cross Currents (1964) est un exercice de style de 7 minutes qui regarde du côté de la veine black and white de Balanchine (Agon, Duo Concertant) sans la musicalité puisque là encore le mouvement ne répond pas à la musique. Les trois danseurs du Royal Ballet, Romany Pajdak, Julia Roscoe et Joseph Sissens, livrent une prestation ciselée : l’instant champagne de la soirée.
Il fallait bien cela pour encaisser les 50 minutes de Walkaround Time. Chapeau aux danseurs de l’Opéra de Paris qui avaient la tâche de défendre cette pièce de 1968 aux codes esthétiques complètement démodés. J’avais déjà vu la pièce à son entrée au répertoire parisien en 2017, associée à deux ballets de William Forsythe, et je ne m’en souvenais pas vraiment, jusqu’à ce que je vois sur la scène l’installation composée d’artefacts emballés des housses transparents parallélépipédiques, inspirée par la Mariée Mise à Nue par ses Célibataires, Même de Marcel Duchamp. C’est parti pour un long pensum, me suis-je dit. Malgré tout, cette deuxième vision s’est avérée plus satisfaisante, avec le sas d’adaptation constitué par les deux ballets précédents. Les académiques aux couleurs sixties sont toujours aussi moches et le fond sonore minimaliste (bruits de pas sur graviers, bruits de circulation, silence sur des extraits de textes de Marcel Duchamp) est plus qu’aride. On a parfois l’impression que les danseurs interprètent de façon purement mécanique la chorégraphie de Cunningham, mais la présence lumineuse d’Emilie Cozette prouve que ce dispositif abstrait peut aussi dégager de la sensibilité et de l’émotion.
L’exploration de l’œuvre de Merce Cunningham se poursuit jusqu’en décembre, avec notamment le Ballet de l’Opéra de Lyon au Théâtre du Châtelet du 14 au 20 novembre et un Event, happening chorégraphique géant caractéristique du chorégraphe, par le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris à la Grande Halle de la Villette.
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