Compagnie de danse majeure sur la scène mondiale, la Batsheva Dance Company était de retour à Paris en ce mois de mai sur la scène du Théâtre National de Chaillot pour présenter Venezuela, un ballet créé en 2017 par son chorégraphe emblématique, Ohad Naharin. L’un des chorégraphes contemporains les plus demandés, l’Israélien confie ses œuvres à des nombreuses compagnies, contemporaines ou même classiques (comme l’Opéra de Paris en 2018) et est l’initiateur de la formidable vitalité de l’art chorégraphique dans son pays, avec l’émergence d’une pléiade de chorégraphes biberonnés à la technique chorégraphique de Naharin, la méthode Gaga (Hofesh Shechter, Emanuel Gat, Sharon Eyal). Ils véhiculent une image positive et tournée vers l’extérieur d’une nation dont la politique intérieure ne fait pas l’unanimité au sein des milieux culturels progressistes occidentaux. La venue de la Batsheva Dance Company est d’ailleurs entourée d’un dispositif de sécurité qui semble incongru pour ce genre de spectacle.

En tout cas, le succès de la troupe ne se dément pas et les places dans la Salle Jean Vilar n’étaient pas faciles à attraper pour qui s’y prenait au dernier moment. Je suis loin d’être une inconditionnelle de la danse contemporaine en général et d’Ohad Naharin en particulier, mais c’est vraiment une expérience de spectateur à vivre que de voir une pièce chorégraphiée par Mr Gaga (le surnom de Naharin) dansée par ses danseurs (même s’il ne dirige plus la Batsheva). J’apprécie le côté mystérieux de chaque pièce, qui provoque systématiquement le questionnement du spectateur et qui refuse l’indifférence ainsi que le haut niveau d’exigence du vocabulaire chorégraphique et l’engagement physique qu’il nécessite, tout en restant complètement accessible à un large public.

Venezuela coche toutes ses cases et les 1h20 sans interruption du ballet dégagent une telle intensité que le spectateur ressent quasiment dans son corps l’énergie renvoyée par les danseurs et termine groggy le spectacle, presque trop fatigué pour applaudir.

N’allez pas chercher derrière le titre un quelconque manifeste politique sur la situation de la république d’Amérique du Sud en plein marasme. Venezuela, c’est juste un mot qui sonnait bien à l’oreille de Ohad Naharin. Tout au plus, l’Amérique du Sud s’invitera-t-elle avec quelques mouvements de danse latine dans la chorégraphie.

La pièce s’articule en 2 parties de 40 minutes, avec la particularité que chaque partie reprend les mêmes mouvements avec un éclairage et une musique différente. Je n’ai néanmoins pas réussi à déterminer (c’est la magie de l’effet de surprise de ce dispositif) si la chorégraphie est absolument identique dans la deuxième section. La première partie démarre sur un rythme plutôt contemplatif au son de chants grégoriens avec des ensembles de danseurs qui semblent s’adonner aux activités d’une communauté religieuse. L’imagerie religieuse reste très présente dans cette partie avec une curieuse procession de femmes chevauchant sur le dos de leurs partenaires masculins, évoquant la figue de la Grande Prostituée de l’Apocalypse. Ce démarrage a un effet presque soporifique, comme pour nous préparer à l’explosion de solos de la fin de cette première partie sur laquelle s’invite des rythmes plus urbains, les danseurs rappant même sur les paroles de Notorious BIG, « Dead Wrong ». J’ai rarement vu des mouvements d’ensembles si rapides et si impressionnants sur scène.

Fondu au noir, et on reprend au début. Même mouvements, cette fois-ci, on voyage du côté de l’Inde et de Bollywood  avec Ae Ajnabi de A.R. Rahman.Les cinq femmes chevauchant les 5 danseurs évoquent maintenant des princesses indiennes chevauchant des éléphants et les mouvements se parent d’une sensualité étrangère à la première partie. Les danseurs qui brandissaient des drapeaux blancs (en signe de reddition ?) dans le premier mouvement défilent maintenant avec des drapeaux aux couleurs de différents pays (en signe de paix ?). Aux interrogations et au mystère de la première partie, se substitue maintenant une forme d’apaisement au fur et à mesure que le dispositif du chorégraphe est éventé et que les limites de la résistance des danseurs et de l’attention du spectateur sont atteintes.

Passé la surprise de cette première vision, vit-on l’expérience Venezuela différemment ? Je serai assez curieuse de le découvrir.

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