Pour l’ouverture de sa première saison pilotée entièrement en solo, Benjamin Millepied a choisi une programmation qui est le reflet de son cheminement personnel. L’apprenti danseur quittant la France pour être formé au New York City Ballet, la “maison” de George Balanchine, par Jerome Robbins est devenu danseur étoile de cette compagnie, grand interprète de ballets des deux maîtres new-yorkais, et enfin le chorégraphe à succès que l’on connaît largement influencé par cet héritage américain. Cette soirée qui réunit sa nouvelle création  Clear, Loud, Bright, Forward, The Dreamer, une pièce de Robbins, et Thème et Variations, petit chef-d’œuvre de virtuosité signé Balanchine, c’est en quelque sorte sa carte de visite auprès du public parisien.

Le côté « strass et paillettes » de Benjamin Millepied a été largement mis en lumière pour le lancement de cette saison avec un gala d’ouverture d’inspiration new- yorkaise pour les mécènes (et des people plus ou moins célèbres) et une omniprésence dans la presse à destination des CSP++. Passée l’agitation de la première semaine, restait à revenir à la danse et aux danseurs et à ce que cette soirée nous révèle de la vision de Benjamin Millepied pour la compagnie.

Peu de rupture par rapport à l’ère précédente: la saison commence par un programme mixte. A mon sens, ce format n’est pas le plus propice à attirer un nouveau public vers le ballet, un des objectifs déclarés de Benjamin Millepied. Les trois pièces proposées ont de prime abord un petit côté intimidant et  élitiste pour le novice et je ressors toujours de ce genre de soirée avec le sentiment d’avoir eu autant d’entracte (sans doute un bon point pour la consommation de champagne aux bars de l’Opéra) que de danse. Par contre, et c’est tant mieux, on a échappé à une création “branchouille” et conceptuelle d’entrée de jeu (ce créneau est pour l’instant l’apanage de la 3ème scène).

Benjamin Millepied et ses danseurs

Benjamin Millepied et ses danseurs

Clear, Loud, Bright, Forward a tout du bel objet design que l’on pose dans un appartement hausmannien: il attire le regard, sans le choquer, et sait se faire oublier. En s’appuyant sur une scénographie soignée avec de beaux jeux de lumières dans un grand cube gris qui enferme les danseurs, des costumes sobres et classes (notamment pour les dames) signés Iris Van Herpen et une musique composée par Nico Muhly, le jeune compositeur chouchou de l’intelligentsia new-yorkaise, Benjamin Millepied déroule une chorégraphie chorale qui met en valeur chacun des seize danseurs, sujets ou coryphées qu’il a choisi pour sa création. Difficile de distinguer des interprètes dans cette approche très égalitariste, même si les ballerines sont particulièrement mises en valeur. J’ai retenu la vivacité d’Eléonore Guérineau, l’élégance de Laurène Levy et le brio d’Axel Ibot au sein d’une troupe homogène, visiblement en phase avec son directeur.

Eléonore Guérineau et Marc Moreau

Eléonore Guérineau et Marc Moreau

C’est beau, c’est fluide, mais cela manque d’aspérités et de prise de risque, alors que la scénographie ouvrait peut-être d’autres possibilités. Derrière l’abstraction pas totalement assumée, que faut-il voir dans Clear, Loud, Bright, Forward un exercice de style hommage aux maîtres new-yorkais qu’il côtoie dans le programme, une série de scénettes sur les rapports des jeunes gens dans le monde d’aujourd’hui ou encore une métaphore sur les danseurs du corps de ballet qui attendent de prendre la lumière dans leur premier grand rôle sur scène?

La force d’Opus19 / The Dreamer de Robbins réside justement dans sa capacité à suggérer et à susciter des images et des émotions sans aucun artifice de scénographie grâce à l’alliance de la partition au romantisme tourmenté du Concerto pour Violon nº 1 de Prokofiev et de la danse habitée de Mathias Heymann, jamais aussi à l’aise que dans ces solos mélancoliques (le solo du 2ème acte de la Belle au Bois Dormant, Manfred, Lenski avant le duel avec Onéguine). Amandine Albisson, dans le rôle de « la fille de ses rêves », semble enfin avoir digéré son statut d’étoile avec une présence très sereine sur scène. Beauté musicale (avec le talent au violon de Frédéric Laroque), chorégraphie inspirée, musicalité des danseurs, cette entrée au répertoire est le point d’orgue de la soirée.

Amandine Albisson et Mathias Heymann

Amandine Albisson et Mathias Heymann

Thème et Variations est la pièce virtuose idéale pour terminer une soirée de gala. Redoutable défi pour les deux premiers danseurs Valentine Colasante et François Alu, dans leurs habits parés d’or, exposés sans filet à des difficultés techniques qui montent crescendo. On les sent parfois un peu fébriles dans leur partenariat (et les mauvaises habitudes corrigées en répétition reviennent au galop) mais j’ai aimé le cran avec lequel ils ont abordé leurs morceaux de bravoure respectifs avec un petit air de bravade. C’est une reconnaissance de la part de Benjamin Millepied de leur avoir confié ces rôles, ce qui les place de fait tout en haut de la pyramide du ballet pour leur maestria technique. On peut néanmoins penser que la personnalité de François Alu est un peu bridée dans ce registre, le fait d’une volonté de dompter le pur-sang? La polonaise qui conclut la pièce, avec son corps de ballet déjà bien réglé, laisse augurer une saison sous le signe du plaisir de danser.

Valentine Colasante et François Alu

Valentine Colasante et François Alu

 

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