Raymonda – Représentation du 3 décembre

Raymonda : Dorothée Gilbert
Jean de Brienne : Hugo Marchand
Abderam : Stéphane Bullion
Henriette : Sae Eun Park
Clémence : Hannah O’Neill
Béranger : François Alu
Bernard : Paul Marque
Les Sarrasins : Marion Barbeau, Axel Magliano
Les Espagnols : Héloïse Bourdon, Jérémy-Loup Quer

Après de longs mois de disette, la danse classique fait enfin son retour sur la scène de l’Opéra de Paris avec Raymonda pour une longue série, qui, on l’espère, ne sera pas trop amputée par les grèves. Cette production monumentale de 1983, le premier grand ballet du répertoire importé par Rudolf Noureev lorsqu’il a pris la tête du Ballet de l’Opéra de Paris, n’a pas été reprise depuis plus de 10 ans, la faute à des décors et costumes de Nicholas Georgiadis qui tombaient en décrépitude. Avec ses 3 actes, 3h15 de spectacle pour 2h30 de danse effective, cette chorégraphie fait à juste titre figure d’épouvantail pour une compagnie classique, en particulier pour la ballerine qui interprète le rôle-titre, présente de manière quasi-constante sur scène et confrontée à pas moins de six variations.

Raymonda, créé en 1898 au Mariinsky,est l’ultime ballet majeur de Marius Petipa, une sorte d’œuvre somme pour le chorégraphe alors âgé de 80 ans. Pour l’occasion, la direction du Mariinsky a confié au jeune Alexandre Glazounov la lourde tâche de remplacer Tchaïkovski auprès du maître de ballet pour une partition aux airs de musique de grande fresque hollywoodienne. On retrouve dans cette production les recettes éprouvées dans les autres grands ballets de Marius Petipa. L’argument assez lâche combine l’engouement du XIXème siècle pour un Moyen-Age fantasmé et l’exotisme de l’Orient, répondant aux besoins d’évasion du public. Au temps des croisades, Raymonda, damoiselle du Pays d’Oc, est promise à un preux chevalier, Jean de Brienne,  qui doit bientôt revenir de Terre Sainte. Les jours s’écoulent dans une relative insouciance entre divertissements et préparatifs du mariage pour Raymonda et ses 4 amis (Henriette, Clémence, Béranger et Bernard), alors que les Sarrasins sont aux portes du château. L’un d’entre eux notamment, Abderam, se montre particulièrement insistant et sème le trouble (frayeur ou désir ?) dans le cœur de Raymonda. Telle Aurore dans la Belle au Bois Dormant ou Clara dans Casse-Noisette, elle va découvrir qui elle est au fil d’un parcours où rêve et réalité se confondent parfois, donnant lieu à de sublimes chorégraphies d’ensemble. Le triangle amoureux (comme dans la Bayadère avec cette fois une femme en son centre) trouve sa résolution dans un duel épique entre Jean de Brienne et Abderam, qui voit ce dernier terrassé. Il est alors temps de célébrer le mariage de l’héroïne et de son prince, pour un troisième acte d’anthologie pour tout balletomane.

A l’occasion de la première du 3 décembre, je découvrais pour ma part Raymonda pour la première fois en intégralité. J’avais vu la captation abrégée avec Marie-Agnès Gillot, José Martinez et Nicolas Le Riche, l’extrait présenté par l’Ecole de Danse en 2017 et le Grand Pas en gala ici et là. Première impression: c’est une soirée particulièrement roborative. On a vu plus de danse dans le premier acte d’1h30 que dans la totalité des 9 derniers mois sur la scène de l’Opéra.

Dorothée Gilbert a été souveraine dans ce qui s’apparente à un marathon pour la ballerine. Dire qu’on ne l’avait pas vue sur scène à Paris depuis le Lac des Cygnes ! C’est frustrant que la troupe ait une étoile de cette envergure en activité et que la programmation ne nous permette pas de l’apprécier davantage. Comme d’habitude, l’entente avec Hugo Marchand est parfaite. J’ai particulièrement apprécié le pas de deux dans le rêve de Raymonda au premier acte, un petit miracle de délicatesse. Si le personnage de Jean de Brienne n’est pas franchement passionnant et si le danseur n’a pas grand-chose à incarner sur scène, l’harmonie d’Hugo Marchand avec sa partenaire réussit à transcender la quasi-abstraction de la chorégraphie.

La figure d’Abderam est nettement plus intrigante. Stéphane Bullion, qui fait son miel de ces rôles sombres, offre une composition très juste, enfiévrée. Il est l’autre, mystérieux, à la fois séduisant et inquiétant, et il fait décoller la tension dramatique sur scène. Même si ses « tours de rôle » plus jeunes seront sans doute plus bondissants, il apporte dans la scène où il violente Raymonda dans son rêve ou au 2ème acte autre chose que le frisson de la belle danse.

Les amis de Raymonda étaient brillants comme il se doit. Le duo François Alu et Paul Marque au premier acte est un moment de danse jubilatoire: lequel des deux sera la prochaine étoile masculine de l’Opéra ? La beauté du style de Paul Marque ferait pencher la balance de son côté. Hannah O’Neill aurait quant à elle sans doute fait une grande Raymonda, mais c’est sa partenaire Sae Eun Park qui remplacera Ludmila Pagliero, blessée, pour toutes ses dates sur la série.

Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer font une démonstration de joie de danser et d’explosivité dans le Grand Pas Espagnol du 2ème acte. Enfin, le corps de ballet n’était pas en reste et la somme de talents sur scène était assez impressionnante avec des piliers (Charline GiezendannerMarine GanioFabien Révillion, Yannick Bittencourt, Yann Chailloux ou encore Cyril Mitilian) et les premiers de classe/fraîchement promus (Sylvia Saint-Martin, Bianca Scudamore, Naïs Duboscq, Thomas Docquir, Francesco Mura, Antonio Conforti, …). Les ensembles, pourtant retors, du premier acte, et notamment la spectaculaire Valse Fantastique, étaient parfaitement réglés.

Raymonda est vraiment un ballet pour les amoureux de la danse classique pure, et pas forcément le grand spectacle familial pour les fêtes de fin d’année, en dépit des costumes et des décors somptueux. En effet, la perfection technique démontrée par la distribution superlative de la première me semble la condition sine qua non pour que la magie opère. Si l’on enlève la technique, le ballet ne fonctionne pas sur sa seule intrigue, ou, du moins, ne peut pas maintenir le spectateur en haleine pendant trois heures. Les autres distributions relèveront-elles le défi de cet Everest de la danse classique ?

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