La dernière reprise de la Bayadère avait laissé les balletomanes sur leur faim : Solor manquant de panache et passant les double assemblés à l’arrache, avalanche de blessures, invitation de Svetlana Zakharova pour redonner un peu de lustre à la production, nominations contestées de deux étoiles Josua Hoffalt et Ludmila Pagliero (qui ont fait mentir les mauvaises langues depuis). Cette nouvelle série en déficit d’image avant même de commencer, du fait de distributions du trio Nikiya-Gamzatti-Solor déséquilibrées sur le papier, s’avère au final emballante si l’on en croit la blogosphère et les réseaux sociaux ainsi que mes deux représentations à date.

Le 3 décembre, j’avais été séduite par la Nikiya de Dorothée Gilbert, l’assurance technique alliée à l’altière beauté de la Gamzatti de Hannah O’Neill, les prouesses de l’Idole Dorée de François Alu et du Fakir d’Hugo Vigliotti, la danse ciselée d’Eléonore Guérineau et l’esclave au torse d’airain de Yann Saïz. J’avais été déçue par le Solor de Mathias Heymann (mais les attentes sont si hautes avec lui !) un peu effacé face à ses deux partenaires féminines et fébrile dans les pas de deux. Il manquait au final ce soupçon d’excitation qui empêche de trouver le sommeil après le spectacle et fait ensuite repenser au ballet pendant une bonne semaine, en n’ayant qu’une envie, y retourner.

Dorothée Gilbert et Hugo Marchand

Dorothée Gilbert et Hugo Marchand

Pour la soirée du 14 décembre, on retrouvait Dorothée Gilbert privée de son partenaire attitré, Mathias Heymann souffrant étant remplacé jusqu’à la fin de la série par Hugo Marchand. Je ne voulais surtout pas manquer cette prise de rôle, car je restais sur les excellents souvenirs du danseur dans Casse-Noisette en décembre dernier et surtout de son duo incandescent avec Dorothée Gilbert dans l’Histoire de Manon, mon coup de cœur de la saison passée. Pas de doute, Hugo Marchand vit intensément ses personnages sur scène et ne fait pas semblant. Que d’autorité dans son entrée et dans le premier pas de deux avec Dorothée Gilbert où l’on retrouve le lyrisme et le lâcher-prise dans la danse qui m’avaient tant plus dans Manon. Chapeau d’avoir pu, en étant seulement remplaçant et titulaire en parallèle sur le triple bill de Garnier, trouver le ton juste d’emblée : Solor est un guerrier, certes noble, qui n’a pas l’habitude qu’on lui résiste et certainement pas un jeune prince timide.

Marion Barbeau

Marion Barbeau

Cette soirée marquait également les débuts de Marion Barbeau en Gamzatti. Moins altière que Hannah O’Neill, sa Gamzatti, particulièrement garce dans le registre de la petite fille riche toutes griffes dehors, contraste finalement plus avec la Nikiya de Dorothée Gilbert. Tous les coups sont permis pour s’accaparer l’affection de Solor et leur confrontation dans le deuxième tableau est interprétée avec tant de fougue que j’ai eu des frayeurs pour l’intégrité physique de Dorothée Gilbert. Marion Barbeau force un peu le trait, mais c’est ce qui fait adhérer le spectateur à l’histoire. Sur le plan technique, on n’est pas encore sur les cimes fréquentées par Hannah O’Neill. La ballerine semble avoir été légèrement déstabilisée sur une pirouette rattrapée in extremis par Hugo Marchand au début du grand pas de deux, un pas de deux qui mériterait encore quelques réglages pour les deux partenaires. Ils enlèvent avec conviction leurs variations respectives. On remarque en particulier la qualité des réceptions d’Hugo Marchand qui, malgré son gabarit, sont particulièrement silencieuses et ainsi que la beauté de ses double-cabrioles. Dans la scène de la mort de Nikiya, le jeu des regards entre les différents protagonistes renforcent l’impact de la variation de Dorothée Gilbert.

Marion Barbeau et Hugo Marchand

Marion Barbeau et Hugo Marchand

L’acte blanc est le couronnement attendu de la soirée. Dans les deux variations introspectives de Solor, la sensibilité et les lignes d’Hugo Marchand font encore mouche, nous entraînant dans son rêve éveillé. Dorothée Gilbert, très en confiance avec son partenaire aux petits soins pour elle, peut complètement se libérer : les portés sont magnifiques et leurs atterrissages sont réalisés tout en douceur et en fluidité. Enfin, la redoutable épreuve du manège de double-assemblés est passée sans coup férir par notre nouveau Solor parisien. Je dépose d’ores et déjà une pétition pour que Dorothée Gilbert et Hugo Marchand soient associés dans Roméo et Juliette.

Solor et Nikiya au Royaume des Ombres

Solor et Nikiya au Royaume des Ombres

A noter également une belle Idole Dorée de Fabien Révillion et Hannah O’Neill, troisième Ombre aux équilibres interminables, tandis qu’Héloïse Bourdon, entre une Nikiya samedi dernier et une Gamzatti vendredi prochain, apparaissait dans le corps de ballet (les bayadères du 1er acte et les ombres du 3ème acte).

La politique de Benjamin Millepied qui confie depuis un peu plus d’un an des responsabilités à de jeunes danseurs, quel que soit leur rang, pour les tester et les aguerrir, commence à porter ses fruits, et il en découle également une saine émulation qui aiguillonne les danseurs établis et les amène à se surpasser. A saluer le travail de l’équipe en charge de cette production, comptant dans ses rangs Florence Clerc, Agnès Letestu ou encore Aurélie Dupont, sous la houlette de Benjamin Pech, auquel Benjamin Millepied a visiblement confié les clés du grand répertoire parisien. La notion de « soirée de routine » ne semble plus avoir droit de cité sur le plateau parisien, on prend des risques techniques, cela saute plus haut et tourne plus vite. Bref, on se prend à rêver d’un nouvel âge d’or pour la troupe.

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