La saison cinématographique 2014-2015 du Bolchoï est un hommage à la carrière de Youri Grigorovitch, chorégraphe résident et ex-directeur du ballet (de 1964 à 1994), une carrière indissociable de l’histoire de moderne de la troupe. Aux côtés des chorégraphies originales (Légende d’Amour, Ivan le Terrible), sont proposées les relectures des grands classiques du répertoire par le maître et sa fidèle équipe créatrice (Simon Virsaladze aux décors, Mikhail Sokolov aux lumières).

Après un Casse-Noisette enchanteur à Noël, c’est au tour du ballet ultime, le Lac des Cygnes, de nous captiver l’espace d’un dimanche après-midi. Comme pour Casse-Noisette, la pantomime est quasiment absente et c’est la danse omniprésente, vive, rapide, athlétique (à tel point que la caméra semble parfois peiner à suivre les danseurs) qui nous raconte très simplement l’histoire.

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Le coeur de ce Lac des Cygnes est le prince Siegfried. Le ballet commence sur son entrée spectaculaire, reflet de l’insouciance et de la témérité de la jeunesse, et se clôt sur un fondu au noir sur le jeune homme prostré. Le ballet dans son entier peut être interprété comme un voyage dans la psychologie du prince, une sorte de parabole sur l’accession au pouvoir et aux responsabilités qui le contraint à abandonner ses idéaux et ses illusions et à céder à l’appel de son côté obscur, son Mauvais Génie (le sorcier maléfique Rothbart disparaît au profit de ce personnage allégorique, sorte d’alter ego du prince). Denis Rodkin, que l’on retrouve avec plaisir pour la troisième fois cette année sur grand écran, incarne avec beaucoup de fraîcheur et de naturel ce prince, dont il rend avec justesse l’évolution psychologique. A la légèreté du début du 1er acte où il papillonne d’une jeune fille à l’autre, succède la quête d’un amour pur et idéalisé incarné par le cygne blanc, Odette, tandis que le 2ème acte le voit indécis et troublé face au défilé des princesses à marier puis conquérant et viril face au vénéneux cygne noir, Odile, et enfin infiniment désespéré lorsqu’il s’aperçoit qu’il a été trompé par Odile et le Mauvais Génie et qu’il a signé la perte d’Odette. En plus d’une performance athlétique de tout premier ordre (notamment au 2ème acte), le danseur vit complètement son rôle sur scène et fait passer toute cette palette d’émotions grâce à son visage et à ses yeux incroyablement expressifs.

Il se devait d’être à la hauteur de sa partenaire, la “prima ballerina assoluta” du Bolchoï et de la planète danse, Svetlana Zakharova. Si sa technique implacable et sa flexibilité extraordinaire font d’elle un cygne noir superbe de duplicité, j’ai été un peu moins touchée par son cygne blanc, notamment au 1er acte où les traits de son visage restent empreints d’une certaine dureté et où son investissement émotionnel semble en deçà de celui de son partenaire. Le pas de deux du Cygne Noir est sans doute le sommet de la représentation, car la connection entre les deux partenaires est totale.

Au côté du couple star, Artemy Belyakov est le Mauvais Génie qui rôde autour du Prince et s’insinue peu à peu dans son espace mental. Dans les scènes de cour, Igor Tsvirko est un bouffon aux sauts pyrotechniques à souhait et les danses des prétendantes (initialement danses de caractère, devenues danses sur pointe dans la version de Grigorovitch) sont un festival de virtuosité. Enfin, que serait le Lac des Cygnes sans la magie de ses ensembles de cygnes parfaitement alignés, dansant au rythme de la partition de Tchaïkovski, pour nous transporter dans le rêve de Siegfried.

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