L’Opéra de Paris n’avait pas forcément brillé ces dernières années par son investissement dans le week-end portes ouvertes “Tous à l’Opéra”. Cette année, nouvelle direction oblige, la programmation était riche et intéressante. Il est vrai qu’avec le directeur musical de la maison Philippe Jordan en guise de parrain, il ne pouvait guère en être autrement. Retour sur un samedi passionnant à l’Opéra Bastille.
10h30 : Visite des coulisses de l’Opéra Bastille
Les visites qui s’enchaînent par groupe de 15 à 20 sont guidées par des collaborateurs de l’Opéra. Mon groupe est accompagné du chef machiniste de l’Opéra Bastille. Il a fait toute sa carrière dans la maison et fait partie de ceux qui ont démarré l’aventure de l’Opéra Bastille en 1989. Il est un peu stressé de parler en public, mais il sait communiquer la passion de son métier et on sent également la fierté d’appartenir à cette institution.
La scène de 400 m2 et surtout l’arrière-scène avec des espaces de répétition et de stockage des décors pour les productions en cours ou à venir sont impressionnantes. Cela fait toujours son petit effet de découvrir la salle de 2700 places depuis la scène en s’imaginant dans la peau de la soliste du Lac des Cygnes.
La machinerie complexe de l’Opéra Bastille permet de gérer deux spectacles en alternance et trois autres productions en répétition. Les équipes sont ainsi en train de monter les décors pour la générale du Roi Arthus de l’après-midi. Sur les côtés patientent les décors de la Flûte Enchantée et d’Adriana Lecouvreur. Nous aurons également un aperçu de certains éléments du décor de Moïse et Aaron, l’opéra d’Arnold Schönberg qui ouvrira la prochaine saison. Cette production promet d’être “space” selon les termes de notre guide.
Il faut compter quasiment un an pour préparer une nouvelle production entre l’étude de la faisabilité technique des idées du metteur en scène et de son décorateur avec les équipes de l’opéra et leur réalisation par les différents corps de métier (peintres, sculpteurs, menuisiers …).
Ces décors transiteront par le monte-charge géant qui relie le 6ème sous-sol, à 25 mètres sous terre, et la scène. C’est dans ce sous-sol que nous découvrons le plancher de danse Harlequin qui sera installé pour l’Anatomie de la Sensation, le dernier ballet de la saison. On apprend au passage quelques anecdotes sur les impacts du changement de direction: l’arrivée de Stéphane Lissner a développé les échanges avec la Scala de Milan, dont Paris devrait récupérer un certain nombre de productions, Benjamin Millepied est très exigeant sur la qualité du lino qui recouvre le plancher de danse (il doit être fabriqué par une firme américaine et être de couleur gris anthracite). Sont également évoqués quelques souvenirs des tournées avec le ballet et de l’incroyable efficacité des Japonais pour mettre en place les décors de la Bayadère, des décors des productions Noureev qui nécessitent un sérieux rafraîchissement.
Il est temps de quitter les coulisses pour retrouver au travers du dédale des étages son chemin vers la sortie des artistes.
13h45 : Générale piano du Roi Arthus
Les 1er et 2ème balcons sont copieusement garnis pour la générale piano du Roi Arthus. Il semble y avoir pas mal d’habitués et d’admirateurs de Roberto Alagna. Philippe Jordan, le chef d’orchestre, et Graham Vick, le metteur en scène de la production, introduisent la session en présentant cet opéra méconnu d’Ernest Chausson, très rarement donné sur scène depuis sa création en 1903, 4 ans après la mort de son compositeur et librettiste, un drame lyrique sous influence wagnérienne qui a l’ambition de faire revivre la légende du Roi Arthur.
Répétition piano signifie qu’il n’y a pas d’orchestre mais uniquement deux chefs de chant et le maestro devant son pupitre qui cale sa direction. Par ailleurs, les chanteurs ne sont pas tenus de chanter. Cet après-midi consistera donc avant tout en une expérience théâtrale puisque tous les autres éléments constituant le spectacle final seront présents: costumes, décors, effets de lumière et surtitrage. Le metteur en scène interrompra la répétition pour apporter des corrections sur le placement et les intentions de jeu.
On découvre les décors aperçus le matin en place: surprise, les tâches de peinture informes vues de près se sont transformées en toiles peintes évoquant les lieux de la geste arthurienne.
La première scène a nécessité une bonne heure de mise en place. L’accoutrement bariolé et les vêtements style bûcheron canadiens des hommes présents sur scène, qui déplacent des planches de bois au centre d’un cercle d’épées (la table ronde), laissent planer un doute: s’agit-il de techniciens? On repère le baryton américain, Thomas Hampson, l’interpète du Roi Arthus, vêtu en aviateur de la 2ème guerre mondiale, puis Roberto Alagna, Lancelot, et enfin des femmes, ce qui lève les interrogations des spectateurs. On n’est donc pas dans un parti pris de mise en scène littérale ou même poétique, mais dans une transposition dans l’Europe d’après-guerre avec quelques éléments anachroniques (les épées, la maison au design entre 50s et Ikéa d’Arthus et de Guenièvre, les costumes féminins).
Difficile de se faire une idée de la composition de Chausson uniquement avec l’accompagnement du piano, mais Thomas Hampson, Roberto Alagna et Sophie Koch n’économisent pas leurs voix et théâtralement, le premier acte est plutôt agréable à regarder: avec de l’action, des intrigues politiques et une belle histoire d’amour, on ne s’ennuie pas.
16h00 : Répétition du ballet Les Enfants du Paradis
Pour finir la journée en beauté, direction l’amphithéâtre Bastille pour une répétition du ballet de José Martinez, les Enfants du Paradis. Créé en 2008, cette adaptation du film de Marcel Carné, a connu un beau succès auprès du public et sera repris pour une troisième série en juin à l’Opéra Garnier. C’est plutôt un excellent choix pour ces portes ouvertes car cela permet de tisser un lien entre la danse classique et un art a priori moins élitiste, le cinéma, au travers d’un des chefs d’oeuvre du patrimoine populaire français.
Pour cette séance, Florence Clerc dirige Eve Grinsztajn et Yannick Bittencourt (décidément un fidèle de ces répétitions du samedi) qui reprennent les rôles de Garance et Baptiste incarnés à l’écran par Arletty et Jean-Louis Barrault. Les deux danseurs travaillent déjà depuis deux semaines en studio, donc le résultat est déjà abouti et il s’agit de peaufiner les détails de l’interprétation.
Le premier extrait choisi est le premier pas de deux où Baptiste, amoureux transi, se retrouve seule avec Garance qui s’amuse de l’admiration de ce beau jeune homme. Le défi pour la gracieuse et élégante Eve Grinsztajn, c’est de trouver dans son interprétation le côté nature et la gouaille d’Arletty alias Garance et de rester dans le personnage même lorsque techniquement cela devient plus difficile. Florence Clerc apporte également des corrections sur le partenariat: Yannick Bittencourt ajuste le positionnement des mains sur la taille de sa partenaire pour qu’elle puisse réaliser ses tours en toute fluidité, avec comme facteur de complexité supplémentaire sur scène une robe assez encombrante.
Le second extrait est le dernier pas de deux: Garance est tombée très amoureuse de Baptiste, mais elle pense que c’est sans espoir, elle décide de le quitter après une dernière nuit d’amour. Florence Clerc laisse les deux danseurs dérouler l’ensemble de la chorégraphie, pour les préparer aux répétitions en scène qui vont arriver. Elle reprend ensuite les détails d’interprétation et la technique avec beaucoup de calme, indiquant ce qu’elle a apprécié (elle n’est pas avare des « c’était très bien ») et laissant les danseurs proposer leurs propres solutions avant de faire des suggestions. On sent une véritable relation de confiance et un dialogue entre Florence Clerc et les danseurs.
En bonus, Florence Clerc ajoute à la séance la répétition du solo de la colère de Baptiste qui intervient plus tôt dans le ballet. Une colère qui vient en réaction à l’inconstance de Garance et qui nécessite un grand investissement émotionnel de la part du danseur. Florence Clerc laisse le temps à Yannick Bittencourt de se reposer avant de se lancer. Elle insiste sur le fait qu’il ne doit pas exprimer que la souffrance mais également exprimer de la colère.
Cette séance donne un bel avant-goût du style du ballet et laisse augurer d’une soirée sous le signe du romanesque et de la mise en abyme du monde du spectacle.
Mots Clés : Benjamin Millepied,Eve Grinsztajn,Les Enfants du Paradis,Opéra Bastille,Philippe Jordan,Yannick Bittencourt