Le répertoire de l’Opéra de Paris ne cesse de s’enrichir de nouvelles œuvres de George Balanchine au fil des saisons. Avec ce programme composé de deux pièce inédites Ballet Impérial et Who Cares ?, on tient sans aucun doute la soirée bulles de champagne de cette saison.
Ballet Impérial, créé en 1941 pour un des premiers avatars du New York City Ballet, l’American Ballet Caravan, est représentatif de la volonté de Balanchine et de son mécène Lincoln Kirstein d’établir les fondations d’une tradition américaine du ballet. Le nom évocateur de la pièce renvoie à l’influence très prégnante sur sa composition du ballet impérial russe et des ensembles des ballets narratifs de Tchaïkovski chorégraphiés par Marius Petipa. Plusieurs fois remanié, ce ballet abandonnera au fil des ans les tutus et les décors évoquant le faste de la cour de Saint-Pétersbourg pour finalement être renommé plus sobrement Tchaïkovski Piano Concerto No. 2. Pour cette entrée au répertoire, l’Opéra a opté pour un entre-deux, une scénographie dépouillée avec un simple fond bleu mais des costumes somptueux, des tutus des dames aux pourpoints militaires ornés de brandebourgs des messieurs. On se croirait dans le Grand Pas de Paquita : d’ailleurs interrogé sur le fait qu’il n’ait pas repris Paquita, Balanchine avouait : « Si nous le faisions, tout le monde verrait ce que j’ai emprunté à Paquita pour Ballet Impérial ».
Le corps de ballet composé de 16 danseuses et de 8 danseurs sert d’écrin aux solistes : deux solistes principaux (Hannah O’Neill et Paul Marque), une deuxième soliste (Bianca Scudamore) qui contraste avec la première (vivacité contre majesté), comme souvent chez Balanchine, accompagnée de deux chevaliers servants (Thomas Docquir et Florent Melac) qui n’ont pas grand-chose à danser, et de deux demi-solistes (Pauline Verdusen et Marine Ganio). Si la chorégraphie est magnifique, de manière récurrente avec l’interprétation parisienne des pièces « académiques » de Balanchine, on ne peut s’empêcher de ressentir un manque de vie, une forme de rigidité un peu scolaire, en comparaison de l’interprétation des danseurs du New York City Ballet. Cela a tendance à rester un exercice de style contrôlé (avec en plus quelques imprécisions dans les ensembles et un travail de pointes pas hyper silencieux), là où les danseurs américains, du corps de ballet à l’étoile, se laissent griser par la vitesse d’exécution. Néanmoins, Hannah O’Neill, dans la continuité de ses dernières apparitions, nous rappelle qu’il ne lui manque que le titre officiel d’étoile. Paul Marque éblouit toujours et encore, sa danse est musicale, précise, moelleuse et il est devenu un partenaire tout terrain (je n’avais pas souvenir de l’avoir vu associé à Hannah O’Neill).
Changement d’ambiance avec Who Cares ?, une pièce de 1970 avec laquelle Balanchine s’aventure sur le terrain de la culture populaire de sa patrie d’adoption. A l’instar de Western Symphony qui évoquait la mythologie de l’Ouest américain, Who Cares ? se promène du côté de l’Amérique urbaine des gratte-ciels, avec un décor mobile reproduisant la skyline new-yorkaise à différentes heures de la journée, et une partition musicale reprenant les versions instrumentales des chansons de Gershwin, des incontournables du Big Band tels que « The Man I Love », «I Got Rythm » ou « Embraceable You ». Le ballet est une succession de séquences, chaque séquence correspondant à une chanson, organisée en deux parties. La première partie propose des chorégraphies d’ensembles avant une deuxième partie centrée sur un soliste masculin (Germain Louvet) et trois partenaires (Hannah O’Neill, Léonore Baulac et Valentine Colasante) avec lesquelles il partage un pas de deux. Je retiendrai dans la première partie le quintet masculin de « Bidin’ My Time » avec Francesco Mura, Antoine Kirscher, Thomas Docquir, Grégory Dominiak et Alexander Maryianowski. Ce dernier vient d’intégrer la compagnie et sa personnalité se démarque déjà.
Dans la seconde partie, la surprise est venue de Germain Louvet, assez loin du registre où il est souvent cantonné. Est-ce l’incursion du côté de chez Pina Bausch en décembre dernier qui a métamorphosé l’étoile? En tout cas, il a fendu l’armure et c’est la première fois que j’ai été séduite par l’interprète et pas par la qualité plastique de sa danse. Il a réussi à trouver le charme d’un Fred Astaire et c’est magique dans les 3 pas de deux, notamment celui avec Léonore Baulac sur « The Man I Love ». C’est un joli retour de congés de maternité pour Léonore Baulac que l’on sentait épanouie sur scène. Le final réunit toute la troupe sur «I Got Rythm », à la manière des shows de Broadway. J’ai adoré l’énergie des danseurs dans ce ballet. La plupart des danseurs, si corsetés dans Ballet Impérial, semblaient à présent bien vivants et leur joie de danser était communicative.