Depuis avril 2015, Eleonora Abbagnato concilie sa carrière d’étoile à l’Opéra de Paris avec la direction artistique du Ballet de l’Opéra de Rome, une compagnie en grande difficulté financière, dont elle ambitionnait à sa prise de fonction de l’amener au niveau de la Scala, la référence en Italie. Pour construire ses saisons composées de 5 à 8 spectacles, plutôt  séduisantes au vue des titres, en gros un best-of des répertoires de l’Opéra de Paris et de la Scala, Elenora Abbagnato s’appuie beaucoup sur son carnet d’adresses parisien : Benjamin Pech, son partenaire privilégié à la scène, l’a suivie pour l’assister, Angelin Prejlocaj ou Jean-Guillaume Bart font partie des chorégraphes sollicités et il n’est pas rare que les étoiles et solistes de notre Opéra fassent un petit détour par Rome notamment pour danser Roland Petit, grand oublié des scènes parisiennes depuis 3 saisons et chorégraphe fétiche de la danseuse.

Pour la première invitation de sa troupe d’une soixantaine de danseurs à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, Eleonora Abbagnato a choisi justement de présenter la Chauve-Souris, adaptation de l’opérette de Johann Strauss fils, créée en 1979 par Roland Petit pour les Ballets de Marseille, dans une version de la production remontée en 2003 pour la Scala et inédite à Paris.

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A une époque où le ballet néo-classique se complaît dans le minimalisme chic et dans la pose intellectuelle, présenter cette Chauve-Souris a quelque chose de délicieusement démodé et de presque transgressif. On peut savoir gré à Eleonora Abbagnato pour cette première incursion française de ne pas avoir privilégié le paraître et d’avoir choisi une oeuvre sans prétention, distrayante et populaire, qui met en valeur les qualités de ses danseurs.

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Rebecca Bianchi et Michele Satriano

Roland Petit ne lésine pas sur le décor, les costumes avec frou-frou et crinolines, les bustiers en dentelle et les effets scéniques pour mettre en scène un vaudeville aux frontières de la revue de music-hall et du ballet. En grand conteur d’histoires, il n’ennuie pas une minute le spectateur et on rit même beaucoup : je ne me souviens pas de m’être autant amusée en assistant à un ballet.

Les enfants et la bonne

Les enfants et la bonne

D’un point de vue chorégraphique, on reconnaît inévitablement la patte du chorégraphe : toutes les héroïnes de Roland Petit sont inspirées par sa muse Zizi Jeanmaire et leurs chorégraphies, cousues main pour son jeu de jambes et de pointes hypnotique. Il y a un indéniable air de famille entre les pas de deux de la Chauve-Souris et ceux de Carmen ou de Notre-Dame de Paris. Les ensembles que certains jugeront simplistes, tels que le tableau des serveurs chez Maxim’s, le bal masqué ou la valse finale, sont d’une efficacité redoutable, et l’on sourira aux revisites de l’histoire de la danse, le Spectre de la Rose parodié avec le plumeau de la bonne qui remplace la fleur ou encore des réminiscences de la Belle au Bois au Dormant avec un Adage à la Rose version bal masqué.

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Antonello Mastrangelo

Pour le soir de la première, après le retrait des invités berlinois, Iana Salenko et Marian Walter, la distribution était 100% romaine. L’étoile locale, Rebecca Bianchi interprète Bella, l’épouse délaissée, qui se transforme en vamp pour courir les réceptions et ramener au bercail son mari volage, la « chauve-souris » Johann, le soliste Michele Satriano. Il manque peut-être un soupçon de brio aux deux danseurs (on sent notamment Michele Satriano encore un peu vert), mais leur engagement, leur complicité dans les pas de deux et leur sens du jeu et de la comedia dell’arte font facilement oublier ce bémol. Dans le rôle d’Ulrich, l’ami du couple qui a des visées sur Bella, Antonello Mastrangelo est également très drôle et expressif, avec une petite batterie virtuose. Dans les danses hongroises du bal masqué, on repère le beau travail de Giacomo Luci, passé par le Ballet de Bordeaux. Au final, cette soirée, c’est un peu la soirée dont on n’attendait pas monts et merveilles sur le papier, mais dont on sort le sourire aux lèvres et en fredonnant la valse de la Chauve-Souris. Vivement le retour de Roland Petit à l’Opéra Garnier !

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